La chronique de Quentin Mouron
Comment l'affaire Dittli fut dégonflée

L’affaire Valérie Dittli n’est plus une affaire politique, si l’on en croit certains élus. L'écrivain canado-suisse Quentin Mouron, membre de nos chroniqueurs, nous explique comment le gouvernement vaudois s’y est pris pour se débarrasser de cette affaire encombrante.
Publié: 26.03.2023 à 13:54 heures
Pour Quentin Mouron, l'expert fiscal sollicité par Valérie Dittli a prouvé une innocence que personne n’avait songé contester, mais a fait oublier une indécence.
Photo: keystone-sda.ch
Quentin Mouron

L’affaire Dittli s’est terminée comme elle a commencé: sans gloire. Un expert indépendant a été mandaté, un type que l’on devine très rigoureux, très impartial, peut-être dépolitisé, et pourquoi pas amateur de ski de fond ou de jeu de société, et pourquoi pas membre d’une association caritative ou d’un club de boules.

Bref, l’affaire a été décidée loin des partis, qui ont toujours des intérêts, loin de la presse, qui n’aime jamais que le buzz, loin des citoyennes et des citoyens, qui n’y comprennent pas grand-chose en matière de droit fiscal, ces ploucs. L’affaire Dittli n’est plus une affaire de politique, c’est-à-dire d’idéologie, mais bien une affaire de droit, c’est-à-dire, à peu près, de science.

Rien ne nous semble plus calamiteux que cette tendance à nier l’évènement politique, idéologique, pour le transformer en fait rigoureusement mesurable par un expert. D’une part, il est évident pour tout le monde, dans cette affaire, que ce qui est reproché à madame Dittli n’est pas d’avoir violé la loi; d’autre part, il s’agit de trancher par le haut quelque chose qui devait être tranché par le bas, dans le tumulte de l’opinion publique, et non dans le feutre naphtaliné d’une bibliothèque ou d’une université.

Or, le dégonflage artificiel de cet évènement, si infime soit-il, ressort de l’idéologie pure, de celle qui décide que la politique était réductible à la sphère réduite des campagnes électorales et des votations; de celle qui décide que ni l’économie, ni le droit, ne sont politiques; de celle qui pratique «le bon sens», le «réalisme» et le «rationalisme» comme des outils de terreur et d’intimation. Or, cette idéologie, que l’on peut dire «libérale», se fonde précisément en disparaissant; elle s’affirme en se niant. Sa grande force est d’être invisible. Les idéologues libéraux n’ont jamais de mots trop durs pour dénoncer, chez leurs adversaires, le péché supposé d’idéologie. «Nous sommes les gardiens du réel, vous délirez dans l’idéal» clament-ils en faisant front commun, qu’ils agissent sous l’étiquette de tel parti de droite modéré, ou de tel parti d’extrême-droite. Et la discussion s’éteint.

Nous avons dit ailleurs que l’économie nous apparaissait essentiellement comme une pseudo-science. Mais nous pourrions dire la même chose du droit. Car, comment est-il institué, ce droit, sinon par un moment politique? D’où tire-t-il sa vigueur, en même temps que sa légitimité? N'y a-t-il pas eu besoin, à un moment ou un autre, d’une idéologie – c’est-à-dire, sans polémique, d’un ensemble de principes consistants que l’on estime supérieur à ceux de l’adversaire?

L’affaire Dittli est éteinte. Un expert a posé ses fesses dessus. Il a prouvé une innocence que personne n’avait songé contester. Il a fait oublier une indécence. Le moment politique est maintenant refoulé dans la bonne conscience bourgeoise – au moins jusqu’aux prochaines votations, c’est-à-dire au seul moment politique que cette bonne conscience soit en mesure de tolérer.

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