Puisque tous les demandeurs d’asile n’ont pas le tact de se suicider, la police genevoise est contrainte d’organiser des rafles en pleine nuit. Et en nombre! Cinq agents armés. Pas moins. Il faut dire que les cibles sont potentiellement dangereuses: une mère géorgienne et son fils de 9 ans.
Après tout, font valoir les bonnes âmes, la Géorgie n’est pas en guerre. Pas davantage que l’Afghanistan. Le premier est miné par une conjoncture économique extrêmement difficile, tandis que le deuxième est dirigé d’une main de fer par des fanatiques islamistes. Mais il est vrai que dans le premier cas, les obus ne pleuvent pas encore et que, dans le deuxième cas, ils pleuvent moins qu’avant. De plus, les fanatiques islamistes ont montré qu’ils pouvaient être accueillants et organiser des belles compétitions sportives. Les bonnes âmes peuvent donc dormir tranquille: ni leur conscience ni la police genevoise ne viendra les tirer de leur lit.
Face à la brutalité, face à la bêtise, les exilés sont seuls
Pourtant, du cœur de la nuit monte une petite musique. Celle de l’absurdité bureaucratique appuyée par une police zélée. Celle de l’extravagance juridique promue par des juges fanatiques. Mais, surtout, la musique guerrière de la répression qui cherche à se faire passer pour une charmante marche nuptiale célébrant l’union de l’ordre et de la neutralité: à ce titre, la réponse donnée par le Département de la sécurité, de la population et de la santé genevois à une journaliste de Heidi.news est un chef-d’œuvre de malhonnêteté, dont la burlesque vacuité n’est pas sans rappeler les pratiques de certains régimes autoritaires.
Face à la brutalité, face à la bêtise, les exilés sont seuls, et ils sont démunis. Ils ne sont épaulés que par des associations et des organismes dont la ténacité est inversement proportionnelle aux faibles moyens financiers et légaux dont ils disposent. Il y a peu à attendre des partis de gouvernement. La gauche institutionnelle se déclare indignée - elle ne sait faire à peu près que cela. Quant à la droite dite humaniste, elle bataille volontiers contre l’État et la bureaucratie, mais seulement quand ceux-ci vont dans le sens d’un frein à l’accumulation du capital: quand il s’agit des pauvres, quand il s’agit des prolétaires, l’État est un allié naturel.
Aux yeux de la bourgeoisie, les pauvres ont un avantage immense
C’est que le renvoi de femmes et d’enfants n’est que l’un des aspects de la guerre que l’État bourgeois mène aux pauvres. Tantôt, il s’agit de s’assurer, même au mépris des décisions populaires, que les travailleurs ne puissent pas jouir d’un salaire minimum. Tantôt, il s’agit de faciliter l’espionnage des assurés par leur assurance. Tantôt, il s’agit d’emprisonner les étudiants qui ne peuvent plus payer leur billet de bus. Aux yeux de la bourgeoisie, les pauvres ont un avantage immense: plus leur situation est mauvaise et plus ils se détestent entre eux, plus ils se détestent entre eux et moins ils sont en mesure d’opposer un front commun à leurs oppresseurs.
Les indignations d’un instant, les appels à l’humanité, les appels à la générosité, les articles indignés ou cette chronique, ne sont jamais que quelques fusées isolées tirées maladroitement contre le blindage de l’ordre bourgeois. La proverbiale désunion des partis de gauche, dont la raison est généralement à rechercher dans le culte de la pureté, dans le refus de se salir les mains – comme si la blancheur de ses mains valait un seul des cheveux d’un enfant expulsé de chez lui en pleine nuit – fait de ces partis, hélas, les alliés objectifs d’un pouvoir de plus en plus implacable, de plus en plus fanatique.
Aucune union ne se produit par génération spontanée
Léon Trotski, dans le premier paragraphe de son autobiographie, écrit: «La vie porte ses coups sur les faibles, et qui donc est plus faible que les enfants?» La vie, c’est-à-dire le dispositif juridico-policier mis en place par le pouvoir bourgeois, et qui n’a rien à voir ni avec un quelconque destin, ni avec une nécessité biologique. Les faibles, c’est-à-dire les pauvres et les dominés de tous les pays, qui tardent tant à s’unir – et dont l’union, nationale et internationale, est pourtant la condition sine qua non à toute résistance d’envergure.
Mais aucune union ne se produit par génération spontanée. Il n’y a pas de miracles: il n’y a que des évènements qui surgissent sur des configurations historiques et sociales données. Et qu’il est du devoir de chacun et de chacune de contribuer à faire naître.