Il est commode d’imaginer que les gens qui se rassemblent pour manifester le font parce qu’ils sont «en colère». Il est alors loisible de leur appliquer toute la gamme des jugements péjoratifs impliqués par ce sentiment: perte du sens commun, aveuglement, puérilité, etc. Ils sont en colère? Attendons. Ils finiront bien par se calmer.
Déraison d’Etat
Mais les travailleuses et les travailleurs qui se sont rassemblés pour la quatrième fois, plusieurs milliers, pour demander la pleine indexation des salaires des fonctionnaires ne le font pas parce qu’ils sont en «colère». Ils sont au contraire très calmes. Ils sont au contraire parfaitement rationnels. Ils sont tout sauf puérils.
Si colère il y a, si déraison il y a, elle est à chercher du côté du gouvernement vaudois qui produit des justifications de plus en plus aériennes, fumeuses, suspendues très haut au-dessus du sens commun. Si déraison il y a, elle est encore à chercher du côté des parlementaires de droite qui, dans une motion stupéfiante, qui emprunte à la bêtise crasse autant qu’aux régimes autoritaires, ont proposé d’interdire aux enseignants d’informer leurs élèves des raisons de la grève. Si déraison il y a, elle est dans la morgue du gouvernement vaudois qui, tissant la condescendance à la bêtise, annonce qu’il veut bien «entendre» parlers des thèmes «importants pour [les manifestants]».
Les raisons de la lutte
Il y a lutte, c’est-à-dire qu’il y a des forces en présence qui s’affrontent. L’une de ces forces utilise la grève et la manifestation, instruments au moins aussi anciens que le capitalisme lui-même, et dont le droit a été conquis à la force du poignet. La force antagoniste - gouvernementale et bourgeoise - utilise le mensonge et la propagande, elle s’efforce de décrédibiliser l’action des travailleurs, elle s’efforce de les transformer en petits enfants colériques, pire: elle les dépeint comme d’affreux profiteurs, repus, qui auraient l’indécence de réclamer des avantages toujours plus exorbitants. C’est-à-dire qu’elle les peint exactement comme elle-même.
En mettant en avant la question des salaires, comme s’ils n’étaient qu’un chiffre abstrait, et non la garantie d’un service public de qualité, le gouvernement bourgeois entend diviser la population vaudoise. Mais que cette dernière ne s’y trompe pas. Il ne s’agit guère d’indexation dans cette affaire, ni même d’élémentaire respect pour les travailleurs de la fonction public; il s’agit de savoir si la notion de service public signifie encore quelque chose, ou si l’on doit lui substituer le chaos permanent, l’injustice systémique. Veut-on un système éducatif qui n’éduque plus? D’hôpitaux qui ne soignent plus? D’une police incapable de mener à bien les enquêtes qui lui sont confiées?
J’ai pu écrire ailleurs que nous imitions la France pour ce qui est de détruire méthodiquement notre système de santé, mais non pas, hélas, pour ce qui est de s’organiser et de résister. Je dois admettre que les fonctionnaires donnent à mon pessimisme un démenti cinglant. Puisse le mouvement grandir, déborder le lit des revendications salariales pour noyer les plaines moroses de l’austérité néo-libérale. Et merde au gouvernement vaudois.