C’est beau, un peuple qui relève la tête. Qui dit non. Qui dit: nous vous donnons des années de vie, nous voulons bien faire notre part; mais nous n’en ferons pas davantage; nous ne vous prendrez pas tout notre corps, pas toute notre vie; si vous voulez nos bras, il faudra nous crever les yeux.
C’est beau, un peuple qui se redresse. Qui n’entend pas supporter davantage la pression humiliante de l’autoritarisme, les passages en forces permanent, les intimidations répétées, et toutes ces pantomimes qui ne sont que la caricature burlesque de la démocratie vivante, au lieu d’en être l’exercice éclairé.
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C’est beau, une barricade qui s’élève vers le ciel. C’est un vieux thème romantique, ce sont les plus belles pages de Victor Hugo, c’est tout le dix-neuvième siècle qui revient en colère, électrique, ourlé, lourd de bourrasques; c’est tout ce siècle où l’on a congédié les tyrans; c’est toute la poésie qui se frotte au réel, qui s’enflamme, qui se mêle aux feux de poubelle et aux détonations des grenades.
C’est beau, une raffinerie bloquée. C’est deux siècles de luttes ouvrières qui revivent sous nos yeux. C’est le droit de la grève, si noble et tant bafoué. Ce n’est pas la contestation du Roi, mais c’est la fragilisation du trône d’or noir sur lequel il est si voluptueusement assis. C’est beau, un piquet de grève. Malgré les injures d’une partie de la foule, malgré les foirades des bourgeois, malgré les quolibets, malgré les menaces, malgré les réquisitions.
C’est beau, un cordon de CRS obligé de reculer sous la pression populaire. C’est dire qu’aucun peuple ne mérite d’être mené à la matraque; c’est dire que, dans un monde meilleur, la grenade ne serait qu’un fruit savoureux, ou une charmante ville espagnole, pas une méthode de gouvernement.
C’est beau, un peuple qui se sent peuple, quand tous les historiens autorisés leur ont patiemment expliqué qu’il s’agissait d’une fiction politique, d’une idée toujours un peu suspecte, toujours un peu brunâtre. Or, il n’est rien de plus beau qu’un peuple quand il s’enroule du drapeau rouge de la révolte, quand il abandonne les cocardes, quand il se tourne tout écumant vers ses oppresseurs — et qu’il les défie, dans les yeux, de toute son âme de peuple.
C’est beau, un peuple qui ne s’aligne pas sur la soumission de ses voisins. Qui fait la sourde oreille quand on lui dit qu’en Allemagne, en Suisse ou en Italie, on travaille plus longtemps. En Italie: retraite à 67 ans. Trouvez-vous qu’au sud de l’Italie, on vive plus riche? Moins étranglé? Moins broyé par la machine néolibérale? Qu’en pensent les ouvriers italiens?
C’est beau, une place envahie de manifestants sauvages, sans autorisation, sans plan de cortège, sans installation sonore, sans fête, mais avec une volonté enflammée, tuméfiée d’indignation. D’une révolte, il faut aimer chaque pavé. C’est beau, un cortège qui se forme à la faveur d’une suite de hasards que personne n’avait su prédire. C’est tout le vertige de l’évènement qui s’empare de ceux qui s’y trouvent, mais aussi de ceux qui les regardent.
Depuis l’étranger, envoyons un message de soutien inconditionnel à ce peuple qui a relevé la tête. Et à avoir dit merde, encore une fois.