Imaginez-vous la scène. Une hausse de loyer vous est notifiée. Vous la contestez, comme le droit vous le permet. Alors que la procédure suit son cours, vous recevez plusieurs menaces de poursuites et de résiliation de la part d’une gérance qui tente visiblement de vous tordre le bras. L’angoisse.
C’est la (très) désagréable expérience d’une locataire bâloise, écrivait Blick le 28 février. Une regrettable maladresse, tempérait en substance Wincasa, la société pointée du doigt. Cette dernière reconnaissait toutefois «des erreurs» et assurait avoir adressé des excuses aux personnes lésées. Fin de l’histoire? Lisez plutôt. Jessica Jaccoud, conseillère nationale socialiste vaudoise, révèle ce jeudi 14 mars qu’au moins un cas similaire s’est produit en Suisse romande.
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L’avocate à la ville, membre de l’ASLOCA, connaît bien ce dossier puisque c’est elle qui a croisé le fer avec la gérance décriée. Posons le décor. Les locataires défendus par l’élue vivent dans le canton de Vaud. Leur gérance principale est Bernard Nicod. Mais c’est Wincasa qui paraît être en charge de certaines procédures de recouvrement.
Des menaces inquiétantes
Tout commence en juin 2023. La bailleresse notifie une hausse de loyer fondée sur la hausse du taux hypothécaire de référence (passé de 1,25% à 1,5%). «La hausse est de 98 francs», précise à Blick Jessica Jaccoud. Un détail qui a de l’importance.
Les locataires contestent la douloureuse devant la commission de conciliation. Insatisfaits de la solution présentée par la préfecture, ils saisissent par l’intermédiaire de la femme de loi le Tribunal des baux (TB), le 30 novembre. Mais, pendant le délai de 30 jours entre la phase de conciliation et la saisine du TB, Wincasa envoie en courrier recommandé: une mise en demeure de payer le loyer avec menace de résiliation.
Cette lettre de réclamation porte sur un montant de 90 francs. «En plus d’être totalement injustifiée vu que la hausse de loyer n’était pas entrée en force, elle comporte de nombreuses erreurs», tonne Jessica Jaccoud. Par exemple? Le montant de 90 francs ne correspond tout simplement pas à l’augmentation de loyer qui est, pour mémoire, de 98 francs.
Encore une mise en demeure!
Sans surprise, l’avocate conteste cette mise en demeure par écrit le 16 novembre, mais affirme n’avoir reçu aucune réponse de la part de Wincasa. Rebelote le 11 décembre. Ses clients en reçoivent une nouvelle, avec menace de résilier le bail. Elle porte cette fois sur une somme de 180 francs. À nouveau, «elle est truffée d’erreurs», s’agace la conseillère nationale
Nous sommes le 14 décembre, Jessica Jaccoud combat cette seconde mise en demeure. Toujours aucune réponse. Le 15 janvier de cette année, ses mandants reçoivent une troisième correspondance de Wincasa, évoquant cette fois-ci une différence de loyer due en raison de l’adaptation du taux de TVA. «Les baux d’habitation ne sont pas adaptés à la TVA, cette correspondance était donc à nouveau complètement infondée», s’indigne l'ancienne présidente du parti à la rose vaudois.
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Tout ce foin pour que, finalement, la bailleresse… renonce à la hausse de loyer et la retire sans même une audience au tribunal. Une victoire qui laisse cependant un goût amer dans la bouche de Jessica Jaccoud: «Les locataires ont subi tout de même deux menaces de résiliations et une augmentation farfelue sur la TVA alors qu’ils agissaient dans leur bon droit, c’est inacceptable!»
La socialiste émet deux hypothèses pour expliquer les agissements de Wincasa. Aucune n’est tendre: «Soit cette gérance est incompétente et adresse automatiquement des courriers sans suivre l’évolution des dossiers, soit il s’agit de pressions délibérées pour faire céder les personnes qui contestent des hausses de loyer et ces méthodes doivent être dénoncées.»
Wincasa dans l'embarras
Nous avons confronté Wincasa à l’ensemble de ces éléments et lui avons adressé une série de questions. Comment justifie-t-elle ses pratiques? N’a-t-elle aucun scrupule à menacer de poursuites des locataires qui utilisent simplement les voies légales? Pense-t-elle aux potentielles conséquences (stress, anxiété, peur, etc.) sur la santé mentale des locataires concernés? Agit-elle ainsi pour faire pression sur ces personnes afin qu’elles renoncent à contester les hausses de loyer? Ce genre des menaces est — semble-t-il — une pratique étendue au sein de son entreprise en Suisse: combien en a-t-elle rédigé en 2022 et combien en 2023?
Les chroniques de Jessica Jaccoud
La société n’est pas très bavarde. Son service presse nous répond laconiquement dans un courriel, ce mercredi 13 mars: «Les rappels ont été envoyés par erreur à la partie locataire en raison d’une erreur de système. Wincasa le regrette et s’est excusé personnellement auprès du locataire et a rectifié les faits. Le cas est donc clos.»
Nouvelle hausse annulée
Une assertion qui fait sourire Jessica Jaccoud, ce jeudi midi: «Hier, peu avant que Wincasa ne vous réponde, mes clients avaient reçu une nouvelle mise en demeure infondée, relate-t-elle. Quelques heures plus tard — peut-être grâce à la pression médiatique? — une cadre de la gérance les a joints au téléphone pour s'excuser platement concernant toutes les mises en demeure, y compris la dernière, reconnaissant leur caractère menaçant. À ma connaissance, c'est la première fois que des excuses sont formulées dans ce dossier.»
Ce n'est pas tout! La parlementaire appuie, avec ironie: «Une hausse de loyer leur avait été par ailleurs notifié le même jour avant d'être annulée moins de 24 heures plus tard, ce matin. Comme par hasard...»