Nous étions plus de 300'000, mercredi 14 juin 2023, dans les rues, dans l’espace public, à défiler, manifester, pour réclamer du respect, du temps et de l’argent. J’ai ressenti beaucoup d’émotions face à cette sororité, cette solidarité derrière un combat commun: nous faire respecter, nous, les femmes. Les femmes lesbiennes, les femmes trans, les femmes précaires, les femmes avec handicaps, les femmes grosses, les femmes racisées, toutes les femmes.
L’on ne le répétera jamais assez: ce n’est que dans l’union de toutes que nous ferons progresser nos droits. Et c’est essentiel de le rappeler parce que cela n’a pas toujours été le cas. Les causes féministes n’ont pas toujours rallié des majorités de femmes, ni de majorité d’hommes. Et c’est ce qui fait que c’est parfois usant de simplement réclamer l’égalité dans les faits et dans le quotidien, même intimes, de toutes les femmes.
Un très (trop) long processus
La Suisse a par ailleurs souvent été la dernière à faire avancer la cause des femmes.
Le droit de vote des femmes était déjà dans les revendications du Comité d’Olten de 1918. Elles devront cependant attendre 1971 pour que le peuple, composé uniquement d’électeurs masculins, leur accorde au niveau fédéral le droit de vote et d’éligibilité.
Dire que nous étions en retard est un euphémisme. Il est utile ici de rappeler que la Suisse a franchi le pas 65 ans après la Finlande (1906), 53 ans après la Pologne (1918), 8 ans après l’Afghanistan (1963). Pire, le canton d’Appenzell-Rhodes-Intérieures n’a accordé le droit de vote aux femmes qu’en 1991, sous la contrainte du Tribunal fédéral.
En 1988, le droit matrimonial est réformé (j’avais 5 ans). Les femmes peuvent désormais ouvrir un compte bancaire (wouah!) ou exercer une activité lucrative sans l’accord de leurs époux. C’est la fin (à tout le moins légale) de la tutelle masculine sur la famille.
Première grève nationale des femmes en 1991
La première grève nationale des femmes a lieu le 14 juin 1991 sous l’impulsion de Christiane Brunner qui était également présente hier à Lausanne. Sous le slogan «Les femmes les bras croisés, le pays perd pied», un demi-million de femmes sortent dans la rue pour réclamer une assurance maternité, un congé parental, des places de crèche, une éducation sans sexisme, ou encore un meilleur partage des tâches.
C’était il y a 32 ans! Que s’est-il passé depuis cette première grève nationale des femmes?
Il faudra attendre 1992 afin que le viol conjugal puisse être poursuivi sur plainte. La Loi sur l’égalité entre en vigueur en 1996, la 10e révision de l’AVS en 1999. C’est également après de longs débats et un référendum que l’avortement entre en vigueur avec le régime des délais en 2002.
Il nous faudra tout de même attendre 2004 pour avoir un congé maternité sur le plan fédéral. Nous sommes le dernier pays d’Europe à le faire.
Il reste du travail
Et aujourd’hui? Les femmes gagnent toujours moins que les hommes et touchent encore des retraites plus basses. Elles assument la plus grande part du travail non rémunéré et font toujours face à des discriminations et du harcèlement. Il faut vraiment que cela change! Parce que cela touche toutes les femmes, qu’elles soient par ailleurs de droite ou de gauche. Et c’est pour cela que j’étais de la partie, mercredi 14 juin.
Ce petit retour en arrière nous permet aussi de voir le chemin parcouru et remercier toutes les pionnières qui nous ont permis ces avancées. On peine à imaginer vivre en 2023 sans le droit de vote aux femmes ou même sans un congé maternité. Ce sont pourtant des luttes qui ont mis du temps à convaincre des majorités, de femmes, et d’hommes.
Il n’est donc pas surprenant de lire que 57% des hommes romands sont plutôt défavorables à la grève féministe du 14 juin, d'après les résultats d’un sondage de Blick. Au fond, tous les combats féministes ont commencé par une majorité d’hommes défavorables… jusqu’à ce qu’ils changent d’avis!