Chronique de Jessica Jaccoud
Un rédacteur en chef ne devrait pas dire ça

La députée socialiste vaudoise Jessica Jaccoud, membre de notre équipe de chroniqueurs, aborde cette semaine le choix des mots en politique et défend le sien lorsqu'elle parle d'accusation de «corruption» à l'égard de Pierre Maudet.
Publié: 18.05.2023 à 14:00 heures
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Dernière mise à jour: 18.05.2023 à 21:21 heures
Claude Ansermoz est rédacteur en chef de «24 heures» depuis 2017.
Jessica Jaccoud

Il y a deux semaines, j’ai évoqué dans Blick la nécessité de rétablir dans le Code pénal la sanction d’inéligibilité à l’encontre d’élus et d'élues condamnés pour avoir été indignes de nos institutions afin de rétablir la confiance des citoyens et citoyennes dans les autorités.

Afin d’étayer mon propos, j’ai évoqué la désormais bien connue affaire Maudet, tout en précisant que l’homme politique avait été «condamné pour des actes de corruption». Cette affirmation m’a value d’être citée dans l’éditorial du rédacteur en chef de «24heures» sous le titre «Un candidat ne devrait pas dire ça».

J'ai sollicité la rédaction du quotidien vaudois afin d’obtenir la possibilité d’exprimer mon désaccord dans une tribune d'opinion. Cela m’a été refusé par le service juridique de Tamedia, raison pour laquelle je souhaite dire ici l’importance du choix des mots.

Forme atténuée d’acte de corruption

Dans son édito, le rédacteur en chef du quotidien vaudois dénonce, à juste titre, des écarts de paroles qui tendent à devenir récurrents dans le langage politique. En cela, je partage son message, dans le sens que certaines exagérations, de gauche comme de droite, nuisent à la démocratie et sont des piques inutiles.

Ce que je regrette cependant, c’est que l’auteur de ce commentaire me reproche un mauvais usage de la langue, et m’inclut donc dans le lot. Il prétend que je fais erreur lorsque je parle de corruption s’agissant du (nouveau) ministre genevois, étant précisé que celui-ci a été définitivement condamné pour délit d’acceptation d’avantage.

D’un point de vue strictement juridique, l’acceptation d’avantage (art. 322 sexies CP) est une forme atténuée d’acte de corruption. Ce n’est pas moi qui le dis, mais le Tribunal fédéral dans son arrêt concernant, précisément, le cas de Pierre Maudet.

De plus, l’infraction d’acceptation d’avantage appartient au Titre 19 «Corruption» du Code pénal qui réunit l’ensemble des infractions de corruption. A titre d’exemple, l’abus de confiance appartient au Titre 2 du Code pénal intitulé «Infractions contre le patrimoine».

Distinguée des infractions de corruption au sens étroit

S’il est vrai que l’acceptation d’avantage peut être distinguée des infractions de corruption au sens étroit (corruption active et corruption passive), elle doit tout de même être comprise comme une forme de corruption, et est visée par une disposition légale qui réprime l’entretien d’un climat favorable par l’octroi et l’acceptation d’un avantage par un agent public.

La répression de ce comportement vise justement à éviter que les élus et élues ne soient tentés de se faire octroyer ou promettre des avantages en raison de leur fonction. Il est utile de rappeler que l’objectif est de garantir la probité des élus et des institutions qu’ils représentent.

Force est donc de constater ,qu’en me faisant passer pour une personne commettant des erreurs de langage et des exagérations, le rédacteur en chef de «24heures» dessert sa cause: il fait ainsi lui-même preuve de l’exagération et de l’imprécision qu’il reproche à d’autres.

Les mots ont un sens

Alors oui, Claude Ansermoz, les mots ont un sens. L’acceptation d’avantage est un acte de corruption, réprimé comme tel. Il était donc nécessaire de le rappeler. Tout comme il doit être dit, haut et fort, que toute forme de corruption entraîne un impact négatif sur la légitimité des institutions politiques et des élus et élues qui les composent.

Ne pas appeler un chat, un chat, faire preuve d’une lecture timorée des événements, c’est banaliser des situations qui valent à la Suisse de reculer depuis 2016 dans le classement international de la corruption de l'organisation Transparency International.

Alors, si la classe politique doit maintenant montrer du courage et de la détermination afin de se doter de moyens pour lutter efficacement contre la corruption, la presse doit également cesser de banaliser les actes qui relèvent de la trahison dans le rapport hautement sensible de confiance entre les élus et élues et les citoyens et citoyennes. Eh oui, j’ai écrit trahison. Cela me vaudra-t-il un nouvel édito?

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