Que partagent Marco Ordermatt et Guillaume Tell, outre leur origine de Suisse centrale et leurs crinières bouclées?
Sport associé à notre culture alpine et notre histoire moderne, la pratique du ski est de plus en plus contestée pour son impact sur l’environnement, les paysages et sa consommation d’énergie. Dans un contexte de crise sociale et climatique, on peut légitimement se demander ce qu’un champion de ski, en 2023, peut encore apporter à la mythologie suisse, au sentiment d’appartenance et à la cohésion du pays, comme l’a fait des siècles durant l’homme à l’arbalète.
Il est utile à cet égard de se rappeler, qu’avant d’être un sport associé aux têtes couronnées, à la jet-set et aux touristes anglais, le ski était profondément ancré dans la culture et la pratique populaire. Ma grand-mère est née à Château-d’Oex en 1932 et elle a conservé toute sa vie durant la paire de ski en bois de son papa. Ma maman a appris à skier à la Forclaz (VD) sur des pentes sans tire-fesses. J’ai eu moi la chance de skier à une époque où le manque de neige n’était pas un sujet et où les combinaisons une pièce fluo étaient à la mode.
Des valeurs qu’on aime
Tout ceci est aujourd’hui bien dépassé et, pourtant, Marco Odermatt, dont la jeunesse et la simplicité étonnent, est adoré, non seulement parce qu’il gagne, mais aussi parce qu’il véhicule des valeurs qu’on aime tant associer à notre Suisse.
Odermatt est un bosseur, il a la victoire modeste et la défaite (rare) humble. Il est constamment souriant, fair-play, ne se plaint jamais, ni de rien ni de personne. Il tire ses collègues vers le haut, respecte les plus expérimentés, encourage les nouveaux arrivés. Son esprit d’équipe est loué par ses collègues et ses adversaires. Il skie sur du matériel fabriqué chez nous, il parle français comme on aimerait tous parler allemand.
En fait, Odermatt, au-delà des exploits sportifs, titres et médailles, ce qu’on aime chez lui, c’est sa suissitude. Nous étions tous orphelins de Federer, Odermatt vient nous sauver de l’abandon d’icône sportive.
Odermatt nous rapproche
En ces temps troublés, où nous sommes nombreux à regarder le JT avec appréhension, où les mauvaises nouvelles s’enchaînent, où les perspectives en matière de logement, de retraite, de salaire, d’inflation et de climat sont inquiétantes, nous avons plus que jamais besoin de nous sentir réunis derrière une iconographie commune. Le sport peut, et doit, jouer ce rôle de cohésion sociale, voire nationale, de rapprochement entre les gens que parfois tout oppose.
Probablement que mes adversaires politiques vibreront comme moi des exploits d’Odi et de ses camarades lors des prochains championnats du monde à Méribel-Courchevel. Nous partagerons peut-être les mêmes publications sur les réseaux sociaux, comme nous le faisions lors des finales de Federer. Et pendant deux minutes, nous serons portés par une victoire que nous considérerons aussi un peu comme la nôtre.
Cela fera-t-il changer le cours du monde? Sans doute non. Mais pendant un court instant – et au final peu importe le résultat – au-delà de ce qui nous différencie et nous clive, nous serons réunis autour d’un moment de joie. C’est mielleux, peut-être même naïf. Mais je pense que le sport peut nous offrir ce qui nous manque tant: une parenthèse d’insouciance.