Ernst Stocker (UDC), Tanja Soland (PS) et Valérie Dittli (Le Centre) ont les emplois les plus faciles parmi les politiques suisses. Ils sont chefs de la direction des finances dans les cantons de Zurich, Bâle-Ville et Vaud. Ils reçoivent régulièrement un très gros cadeau en fin d'année. Et ceux qui expédient ce joli présent ne sont autres que les plus gros contribuables de Suisse, c'est-à-dire les groupes qui ont leur domicile fiscal principal dans ces trois cantons.
En 2023, c'est l'entreprise pharmaceutique bâloise Novartis qui a versé le plus d'argent au fisc suisse, à savoir 1100 millions de francs. Nestlé a versé 1000 millions aux autorités fiscales, UBS 742 millions et Roche 600 millions. Une grande partie de la manne fiscale des grandes entreprises pharmaceutiques reste à Bâle, dans la caisse de Tanja Soland.
Ce sont les impôts sur les bénéfices qui rapportent des millions et des milliards en Suisse et dans le monde entier. Les cinq plus gros contribuables du pays – Novartis, Nestlé, Gunvor, Glencore et Roche – versent 10,5 milliards au fisc de différents pays, dont 3,1 milliards restent en Suisse. Soit presque un tiers, bien que ces entreprises n'emploient chacune qu'une fraction de leur personnel en Suisse. Chez Nestlé, cela ne représente pas 5% du personnel mondial.
Une chasse aux impôts très appréciée
Le classement fiscal 2023 de la «Handelszeitung» se base sur des rapports d'activité, sur des valeurs empiriques des dernières années et sur des entretiens de fond avec des représentants d'entreprises. Par rapport aux années précédentes, les chiffres concernant la Suisse sont publiés de manière restrictive, car la lutte mondiale pour le substrat fiscal s'intensifie.
L'introduction de l'impôt minimum de l'OCDE de 15% et les caisses béantes de la plupart des Etats ont énormément attisé les querelles autour du substrat fiscal des grands groupes internationaux. Et la Suisse, avec ses dizaines d'entreprises prospères, clignote d'autant plus sur les écrans radar des services fiscaux et des politiciens financiers de Washington, Paris ou Kinshasa.
Il y a beaucoup à prendre, car les bénéfices – et donc les impôts – débordent dans la plupart des entreprises suisses. L'année dernière, Novartis a payé 2,47 milliards de francs d'impôts sur le revenu, Nestlé 2,3 milliards, Glencore 1,84, Zurich 1,4 et UBS exactement 1,316 milliard.
L'UBS flamboyante
L'ascension de l'UBS est impressionnante. Il y a dix ans, elle payait encore 700 millions dans le monde entier. Aujourd'hui, c'est le double. La Suisse est la première à en profiter: durant cette période, la grande banque a multiplié par plus de sept l'assiette fiscale dans le pays.
En 2008, la crise financière a provoqué un effondrement. Cela s'est répercuté sur le substrat fiscal pendant plusieurs années en raison des crédits d'impôt. Mais après 2014, le montant a fait un bond, puis a stagné en 2018 et 2019, avant que le substrat ne double presque à nouveau. Mais au lieu de fleurs, c'est une indignation nationale qui s'exprime à propos du salaire de Sergio Ermotti.
Une industrie financière riche en impôts
Outre l'UBS, d'autres entreprises de l'industrie financière livrent des sommes imposantes. Zurich Insurance, qui verse 350 millions en Suisse, ou Swiss Re (300 millions) font la joie du chef des finances zurichois Ernst Stocker. Par le passé, la banque privée Julius Baer était également un contribuable apprécié par l'élu UDC. «Était», car avec la débâcle du conglomérat immobilier Signa – qui avait obtenu 600 millions de francs de credit de Julius Baer – le bénéfice de la banque privée a fondu, et avec lui l'assiette fiscale. Au lieu de 120 millions, il n'y a plus eu que la moitié l'année dernière, soit 60,3 millions.
La situation du Credit Suisse est, quant à elle, particulière. En 2022, le fisc suisse percevra encore 314 millions de la banque. Mais à l'étranger, où Credit Suisse a accumulé des milliards de pertes, il en va tout autrement: la banque s'est vu rembourser 76 millions d'impôts en raison de tous ses mauvais résultats annuels. Un cadeau d'adieu pour une banque qui a totalement échoué.
C'en est désormais fini du chèque fiscal de Credit Suisse. Avec la reprise par l'UBS, les recettes sont intégrées dans le compte de résultat consolidé de Sergio Ermotti. D'un point de vue purement fiscal, le patron d'UBS a également touché le jackpot avec le rachat de Credit Suisse, car le take-over n'a pas déclenché de droits fiscaux supplémentaires malgré des bénéfices de plusieurs milliards. Comme le fisc n'a rien fait, le taux d'imposition de la grande banque est tombé l'année dernière à un taux homéopathique de 3%. L'année précédente, il était d'au moins 20%.
Impôts fonciers et à la source
Les banques et les assurances sont néanmoins une bénédiction pour la Confédération, les cantons et les communes. Le secteur financier couvre en effet près de 40% des impôts sur les entreprises en Suisse, le reste provenant de l'industrie et du commerce. En effet, ce sont les grandes (ABB, Swisscom, Holcim) et moyennes entreprises (Stadler Rail, Clariant) qui contribuent à alimenter les caisses de l'Etat. Les quelque 500'000 petites entreprises, en revanche, ne contribuent que peu ou pas du tout à l'assiette fiscale du pays, tout simplement parce qu'elles n'affichent pas assez de bénéfice net imposable.
Mais Corporate Switzerland offre plus que des obligations de rendement. En effet, outre ces derniers, les entreprises paient également des impôts fonciers, des impôts à la source, des taxes sur la valeur ajoutée ou des taxes sur l'énergie. Et surtout, les collaborateurs qui gagnent leur vie dans les groupes paient aussi des impôts sur la fortune et sur le revenu.
Et pas qu'un peu – grâce à la progressivité de l'impôt – puisque les salaires moyens dans le secteur financier se situent entre 140'000 et 240'000 francs. Rien que pour l'UBS et Credit Suisse, 2 à 2,5 milliards ont encore atterri dans les mains du fisc. Le grand bénéficiaire est ici aussi le directeur financier de Zurich, Ernst Stocker, qui préside aussi la conférence des directeurs financiers.
Sous le feu croisé des autorités fiscales étrangères
Toute cette manne financière suscite des convoitises à l'étranger, comme le révèlent les rapports de gestion. Par rapport au passé, les «tax disputes», les litiges avec les autorités fiscales, ne cessent d'augmenter. On se bat sur tous les continents: la très distinguée EFG Bank de Zurich s'oppose aux autorités fiscales de Mexico au sujet de 24 millions issus d'un achat d'actions.
Le secteur des matières premières est également en ébullition. Ainsi, la société zougoise Glencore se dispute depuis des années avec les autorités fiscales de Grande-Bretagne au sujet d'un petit rappel d'impôts de 850 millions. Mais comme aucun compromis n'a été trouvé avec les Britanniques, les négociants en matières premières zougois ont fait appel aux autorités fiscales suisses.
La République démocratique du Congo, un Etat africain à problèmes, est également l'objet de querelles sans merci. Le pays, dans lequel Glencore exploite le cobalt et le cuivre depuis 20 ans, a encaissé l'année dernière 469,5 millions rien qu'au titre de l'impôt sur les sociétés, mais le ministre des Finances veut davantage et augmente constamment l'impôt sur les bénéfices. Elle invente aussi de nouvelles taxes comme la Super Profit Tax ou une taxe sur les routes provinciales.
Glencore n'est pas la seule à être en conflit permanent avec le Congo. Les Chinois dominent désormais l'exploitation du cobalt et, en tant que chefs de file, préfèrent graisser la patte des politiciens locaux avec des dollars plutôt que de régler des factures fiscales.
Grâce à la péréquation financière, tout le monde en profite
Les concurrents suisses de Glencore, Trafigura et Mercuria, sont en conflit avec les autorités fiscales. Comme les Sud-Africains ont augmenté les taxes sur le carburant pour les pétroliers après la fermeture du canal de Suez et n'ont pas renoncé à leurs exigences maximales, leurs pétroliers font actuellement escale à l'île Maurice, où la fiscalité est plus avantageuse. Toutes ces querelles sont mentionnées dans les rapports afin d'attirer l'attention des actionnaires ou des investisseurs sur les risques fiscaux futurs. Car ceux-ci sont devenus très importants pour les affaires.
De toute façon, les entreprises de matières premières de Zoug et de Genève sont sous pression. Elles apprécient en effet de moins en moins être clouées au pilori par des ONG qui les considèrent comme des maximisateurs d'impôts ayant une préférence pour les montages fiscaux aventureux. Ainsi, pour améliorer leur image, elles ont éliminé leurs sociétés offshore dans les paradis fiscaux des Caraïbes et sont passées au principe du pays par pays, qui consiste à payer des impôts là où les affaires physiques ont réellement lieu. Au grand dam de la Suisse, car le substrat fiscal de Zoug ou de Genève fond, tandis que celui du Brésil, de l'Australie ou de l'Afrique du Sud s'accroît.
Le super site suisse peut le supporter, car les milliards ont également coulé à flot l'année dernière. Et pas seulement dans les cantons de domicile de Bâle-Ville, Vaud, Zoug ou Zurich. Non, les pauvres en profitent aussi, grâce à la péréquation financière nationale.