Au grand dam de Karin Keller-Sutter
L'UBS offre près de 11 milliards de fonds propres aux actionnaires

La ministre des Finances Karin Keller-Sutter exige qu'UBS constitue davantage de fonds propres. Mais les responsables préfèrent distribuer aux actionnaires des capitaux dont ils n'ont pas besoin dans l'immédiat.
Publié: 22.04.2024 à 11:21 heures
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Corinne Zellweger-Gutknecht, professeur de droit privé et économique à l'Université de Bâle.
Photo: Zvg
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Thomas Schlittler

Le 10 avril dernier, Karin Keller-Sutter présentait à Berne des propositions de mesures visant à éviter un nouvel effondrement bancaire. Cette semaine, la ministre des Finances s'est rendue au Fonds monétaire international (FMI) à Washington pour défendre ses idées sur la scène mondiale.

Des propositions qui donnent du fil à retordre à l'UBS

A cette occasion, la magistrate libérale-radicale a annoncé que la Suisse voulait participer activement au développement des règles internationales «too big to fail». Motif: les Etats et les contribuables doivent être protégés en cas de faillite d'une grande banque.

A l'UBS, c'est surtout le projet d'augmenter les fonds propres pour les participations étrangères qui pose problème. Karin Keller-Sutter veut en effet obliger les banques d'importance systémique à détenir nettement plus de fonds propres pour leurs filiales à l'étranger. Selon ces modalités, l'UBS devrait constituer 15 à 25 milliards de francs de capital supplémentaire avec une telle réglementation.

Des fonds propres plus élevés signifient une plus grande stabilité en période difficile. Pourtant, l'UBS n'a de loin pas tout fait ces dernières années pour augmenter ses coussins de sécurité.

Des dizaines de milliards de francs de rachats de titres

Une analyse de Blick le montre: entre 2018 et 2023, la grande banque a racheté pour 10,8 milliards de francs de ses propres actions – et a ainsi détruit autant de fonds propres. Si l'UBS avait laissé cet argent dans le groupe, les projets de Karin Keller-Sutter auraient pu être envisagés de manière nettement plus détendue.

Les rachats de titres font monter le cours des actions d'une entreprise, car moins de titres peuvent être négociés sur le marché. De quoi satisfaire les actionnaires, qui ont ainsi toujours approuvé les propositions des dirigeants d'UBS. Les plans ont été mis en place par l'ancien CEO Ralph Hamers, le président de longue date du conseil d'administration Axel Weber, son successeur Colm Kelleher et le nouveau CEO Sergio Ermotti, qui avait déjà tenu la barre de la grande banque auparavant.

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La démarche de l'UBS agace

Corinne Zellweger-Gutknecht, professeure de droit privé et de droit économique à l'université de Bâle, voit cette procédure d'un œil critique: «L'UBS ne pouvait pas être surprise d'apprendre que les exigences en matière de fonds propres augmenteraient massivement en cas de reprise de Credit Suisse. Malgré cela, le conseil d'administration a renoncé à constituer à titre préventif des fonds propres suffisants pour une telle fusion.» En lieu et place, l'argent aurait été utilisé en 2022 et 2023 pour des rachats d'actions, et ce alors que les problèmes du Credit Suisse devenaient de plus en plus évidents.

Selon Corinne Zellweger-Gutknecht, cela peut signifier deux choses: «Soit les responsables n'ont pas envisagé sérieusement une fusion avec Credit Suisse pendant longtemps, soit ils ont compté dès le début sur de longs délais de transition concernant les prescriptions en matière de fonds propres.»

L'expert bancaire est plus compréhensif

Andreas Venditti, analyste à la banque de gestion Vontobel, comprend mieux la démarche du géant suisse. «Le marché attend d'UBS une stratégie de rapatriement de capitaux attrayante sous forme de dividendes et de rachats d'actions, comme le font également ses concurrents mondiaux.» Pour les grandes banques américaines notamment, avec lesquelles l'UBS se compare avant tout, les rachats d'actions font partie de la norme.

L'expert bancaire fait remarquer que la majeure partie des rachats d'actions a eu lieu avant 2023 – donc à une époque où ni l'acquisition de Credit Suisse ni le durcissement des prescriptions en matière de fonds propres n'étaient à l'ordre du jour.

De plus, Andreas Venditti remarque que l'UBS n'a probablement pas décidé de procéder seule: «On peut supposer que les programmes de rachat d'actions ont à chaque fois été annoncés en concertation et avec la bénédiction de la Finma.»

Un point de vue que l'autorité de surveillance ne confirme qu'à moitié: «La Finma examine la planification du capital des banques et adopte à cet égard un point de vue prospectif», explique un porte-parole. La planification du capital comprend également les distributions prévues. Néanmoins, la Finma n'approuve formellement «aucun instrument spécifique de gestion du capital des banques».

UBS prévoit de nouveaux rachats de titres

Quoi qu'il en soit, les rachats d'actions du passé ne peuvent pas être annulés. La question centrale reste toutefois de savoir si l'UBS laissera à l'avenir davantage ses bénéfices dans l'entreprise.

Actuellement, cela ne semble pas être le cas: en février, les responsables de l'UBS ont annoncé vouloir racheter des actions supplémentaires à hauteur de deux milliards de francs d'ici avril 2026.

Mais ce n'est pas tout: dans le rapport annuel, il est écrit que la grande banque veut même racheter plus d'actions à partir de 2026 qu'avant le rachat de Credit Suisse. En 2022, l'UBS avait d'ailleurs racheté des actions pour une valeur de 5,3 milliards de francs.

Décision lors de l'assemblée générale

L'UBS va-t-elle maintenir ces plans malgré le coup de pression de Karin Keller-Sutter? Mercredi prochain, lors de l'assemblée générale, la direction de l'UBS devra fournir une réponse.

Andreas Venditti part du principe que la méga-banque ne renoncera pas aux rachats d'actions prévus pour cette année. «Mais il est désormais moins probable que l'UBS rachète à partir de 2026 au moins le même montant qu'en 2022, comme cela a été annoncé en février», ajoute l'analyste.

Les fonds propres peuvent empêcher les garanties de l'Etat

De son côté, Corinne Zellweger-Gutknecht souligne qu'en cas de crise, des fonds propres supplémentaires aideraient la banque à maintenir ses fonctions d'importance systémique: «Si ce fond de secours fait défaut, le risque est plus grand que les clients de la banque et d'autres créanciers subissent des pertes – voire que l'État doive intervenir avec une garantie.»

La professeure de droit économique souhaite donc que le législateur si les rachats d'actions et les opérations comparables doivent être autorisés jusqu'à ce que les nouvelles prescriptions en matière de fonds propres soient obligatoires.

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