Le Human Development Index des Nations unies compte 191 pays. À la première place: la Suisse. La République du Tchad se trouve à l'autre bout du classement. Ce pays de 17,7 millions d'habitants occupe l'avant-dernière place de l'indicateur mondial de prospérité. Plus de 40% de la population vit dans la pauvreté. Seul le Soudan du Sud est encore plus mal loti.
Le produit intérieur brut du Tchad s'élève à 695 dollars par habitant et par an. En Suisse, ce chiffre est de 93'657 dollars, soit environ 135 fois plus.
Le prix du pétrole chute, le Tchad doit tout fournir
Pour le groupe zougois de matières premières Glencore, cette nation pauvre au cœur de l'Afrique n'en est pas moins intéressante. Car elle est riche en pétrole. C'est la raison pour laquelle un accord a été conclu il y a environ dix ans: Glencore a accordé au Tchad un prêt de 1,45 milliard de dollars américains. Le pays devait rembourser ce montant les années suivantes sous forme de livraisons de matières premières.
L'accord s'est avéré dramatique pour le Tchad et sa population. Dans les semaines et les mois qui ont suivi la conclusion du contrat, le prix du pétrole s'est effondré de plus de 40% au cours de l'année. Conséquence: le Tchad a dû livrer la quasi-totalité de sa production pétrolière nationale à Glencore et s'est retrouvé dans une spirale d'endettement dévastatrice. L'ancien président tchadien a qualifié l'accord de «marché de dupes».
Des documents transmis à Blick et à la plateforme d'investigation britannique Source Material révèlent aujourd'hui l'existence d'un accord: un homme qui a participé de manière déterminante au commerce de pétrole controversé et qui représentait officiellement les intérêts du Tchad, travaillait secrètement pour Glencore.
Paiements via un paradis fiscal des Caraïbes
Le Camerounais Etienne S.* était partenaire principal de la société de conseil Cameroun Audit Conseil International (CAC). Il a conseillé la Société des Hydrocarbures du Tchad (SHT) et exercé une grande influence sur le marché de plusieurs milliards de dollars conclu avec Glencore.
Etienne S. ne s'est pas seulement fait payer pour ses conseils à la SHT, il a également perçu beaucoup d'argent de Glencore. Les paiements ne lui ont toutefois pas été versés directement, mais à une société appelée Vanir Trading. Celle-ci était domiciliée dans les îles Vierges britanniques, le paradis fiscal des Caraïbes. L'ayant droit économique était Etienne S., comme le montrent les documents en possession de Blick.
Le 28 septembre 2012, Glencore a conclu avec Vanir Trading un contrat stipulant que la société participerait aux bénéfices générés par Glencore dans le cadre de ses activités avec la société pétrolière tchadienne SHT.
Contrat adapté plusieurs fois
Après 2012, le contrat a été adapté à plusieurs reprises. Le 14 mai 2014, il a finalement été stipulé que Vanir Trading recevrait de Glencore un paiement d'un montant total de 14,5 millions de dollars US, soit exactement 1% du prêt controversé de 1,45 milliard de dollars.
Le contrat laisse penser qu'Etienne S. a sciemment œuvré pour que le marché d'un milliard de dollars présente surtout des avantages pour Glencore, et non pour le Tchad, dont il représentait officiellement les intérêts.
Mark Pieth, expert anticorruption et professeur de droit pénal à l'université de Bâle, n'est pas en mesure d'évaluer le cas concret. Mais il sait que la collaboration avec des intermédiaires est essentielle pour les groupes de matières premières, lorsqu'il s'agit d'obtenir des droits d'exploitation. «Dans ce contexte, il est souvent difficile de savoir qui travaille pour qui et quels sont ses intérêts.» En règle générale, l'argent ne reste pas seulement entre les mains des intermédiaires, mais atterrit aussi, par des voies détournées, chez des ministres corrompus du pays concerné.
Déclaration énigmatique de Glencore
Lors d'une conversation téléphonique avec Source Material, Etienne S. a confirmé oralement qu'il avait travaillé pour Glencore via Vanir Trading. Source Material et Blick n'ont toutefois pas pu le joindre pour obtenir des précisions.
Glencore ne veut pas non plus s'exprimer sur les contrats avec Vanir Trading. L'entreprise ne répond pas à la question de savoir quel était l'objectif des millions versés à Etienne S. Glencore ne dit pas non plus quelle est la responsabilité d'Ivan Glasenberg, qui a été CEO de 2002 à 2021 et qui reste à ce jour le plus gros actionnaire individuel de l'entreprise.
Au lieu de cela, le groupe indique dans un communiqué énigmatique: «La commission d'enquête du conseil d'administration a surveillé la réaction de Glencore aux différentes enquêtes gouvernementales. Glencore a coopéré de manière intensive avec les différentes autorités. Le groupe a engagé des conseillers juridiques et des experts médico-légaux externes pour aider l'entreprise à réagir aux différentes enquêtes et pour mener, à la demande de la commission d'enquête, des investigations supplémentaires sur différents aspects des activités de Glencore.»
Décryptage: tout a été traité, de l'eau a coulé sous les ponts. Aujourd'hui, Glencore serait une entreprise qui travaille de manière complètement propre et transparente.
Des pots-de-vin dans le passé
Glencore diffuse ce message presque comme un mantra depuis qu'Ivan Glasenberg a quitté son poste de CEO en 2021.
Par exemple, en 2022, lorsque le groupe a dû admettre avoir versé des pots-de-vin par le passé au Cameroun, en Guinée équatoriale, en Côte d'Ivoire, au Nigeria et au Soudan du Sud, le président du conseil d'administration Kalidas Madhavpeddi a assuré: «Glencore n'est plus aujourd'hui l'entreprise qu'elle était lorsque les pratiques inacceptables qui se cachaient derrière cette mauvaise conduite sont apparues.»
Le nouveau CEO Gary Nagle a également promis d'améliorer l'entreprise: «Nous avons pris des mesures considérables pour élaborer et mettre en œuvre un programme d'éthique et de conformité de premier ordre. Cela doit garantir que nos mécanismes de contrôle sont ancrés dans chaque recoin de notre entreprise et qu'ils sont efficaces.»
Pression du président de la Banque mondiale
L'expert anticorruption Mark Pieth n'est toutefois pas totalement convaincu par ces affirmations. Pour lui, il est clair que «c'est l'avenir qui doit montrer si un changement structurel profond a réellement eu lieu au sein du groupe». En règle générale, il faut des années pour que les incohérences liées aux contrats de matières premières apparaissent.
Une chose est sûre: aujourd'hui encore, Glencore n'est pas une association caritative. Ainsi, le groupe s'est longtemps refusé à contribuer à l'allègement de la dette du Tchad, contrairement à de nombreux pays et organisations internationales qui avaient prêté de l'argent à ce pays.
En 2021, le président de la Banque mondiale de l'époque, David Malpass, a même demandé publiquement à Glencore d'offrir une solution: «Le montant le plus important de la dette rééchelonnable est de loin celui de Glencore», a déclaré Malpass à l'époque.
Pas de réduction de la dette
Un accord avec le Tchad n'a pu être trouvé qu'il y a environ un an. Un porte-parole de Glencore écrit à ce sujet: «Le crédit a pu être restructuré avec succès fin 2022 avec le soutien de toutes les parties concernées.»
On ne sait pas exactement en quoi consiste cette restructuration. Selon les informations de Blick, Glencore a accepté un délai de remboursement plus long pour la dette. Mais les dettes nées de l'accord pétrolier controversé n'ont pas été annulées ou réduites.
Le groupe minier et de négoce de matières premières pourrait pourtant se le permettre. Cette semaine, Glencore a présenté un bénéfice net de 4,3 milliards de dollars pour 2023, contre 17,3 milliards de dollars un an plus tôt.
À titre de comparaison, le produit intérieur brut du Tchad s'élève à 12 milliards de dollars.
*Le nom a été changé