Ses poings serrés dans ses poches ne trompent personne. Le vent soufflé dans les rues de la capitale vaudoise ce samedi matin glace le grand sourire habituel de Marco Chiesa, président de l’Union démocratique du centre (UDC) Suisse. Entre deux «Ciao!» lancés aux personnes venues le saluer, il badine: «L'air frais me rappelle mon service militaire au Gothard». Ses bons coups de fourchette dans la fondue proposée aux curieux par la section lausannoise de son parti ne suffisent pas à le réchauffer.
La bonhomie du Tessinois de 48 ans, père de deux enfants de 11 et 13 ans, fait toutefois mouche. L'homme qui ne se laisse flatter par personne — même pas par Eric Zemmour — enchaîne les photos avec ses sympathisants. Le conseiller aux Etats n'oublie pas pourquoi il est là... Il ne manque pas une occasion pour rappeler que Michaël Buffat est candidat au Conseil d’Etat vaudois en vue des élections de mars.
De la salive mal utilisée: la majorité des gens à qui il s’adresse le savent déjà. Si Marco Chiesa est une star au sein de sa famille politique, sa venue n’a pas attiré grand monde hors des rangs de l’alliance bourgeoise. Le patron de «la droite populaire» conservatrice doit encore se faire connaître pour véritablement peser dans le débat en Suisse romande. Et surtout pour réussir à secouer son parti qui peine à exister dans les Exécutifs cantonaux et communaux de ce coin de pays. Interview.
On connaît de vous le politicien aguerri. Mais qui est l’homme derrière le tribun qui sait se montrer agressif?
Je suis un père de famille prêté temporairement à la politique. J’ai commencé en 2001 dans un petit village de 500 habitants (Villa Luganese, ndlr.) puis j’ai eu la chance de passer par tous les échelons. Mon petit village a été absorbé par Lugano et je suis passé de cette ville au Grand Conseil. Puis, du Grand Conseil au Conseil national. Et, enfin, du Conseil national au Conseil des Etats. Je suis maintenant président de l’UDC Suisse et je dois avouer que c’est un parcours totalement inattendu. Mais je reste d’abord père de famille, avec les pieds sur terre.
On dit de vous que vous êtes un Blochérien souriant. En tant que père, vous êtes aussi dur sur le fond et modéré dans le style?
C’est vrai que c’est un peu la description qu’on donne de moi. Dur sur le fond, cela signifie que j’ai des valeurs que je veux soutenir et protéger. Et pour lesquelles il est nécessaire de se battre. On peut par exemple parler de la souveraineté de la Suisse. Il y a aussi la liberté et la sécurité au sens large. Pour moi, cela veut dire pouvoir vivre dans une communauté en ne craignant rien. Et il y a maintenant dans notre pays des questions de criminalité qui méritent notre attention. Je défends ces valeurs en tant que politicien mais aussi en tant que père. Je veux que mes deux enfants héritent du même pays que moi et puissent jouir des mêmes opportunités.
Vous avez des passions?
J’ai les mêmes passions que mon père. En plus de ma famille avec mes enfants extraordinaires que j’aime de tout mon cœur, j’aime le football, le hockey, la montagne, la chasse ou encore jouer aux cartes. Mais comme mon père est meilleur que moi dans tous ces domaines — il a été champion de Suisse avec le FC Lugano en 1968 —, j’ai décidé de faire autre chose. C’est pour cela que je fais de la politique. (Rires)
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Quelle serait votre société idéale?
Beaucoup de gens ont essayé de façonner leur société idéale et cela s’est toujours mal terminé. (Il réfléchit) Je pense que la Suisse, avec sa démocratie directe, est une société idéale. Cela ne veut bien sûr pas dire que tout est parfait. Mais les Suissesses et les Suisses peuvent décider. Je ne suis pas toujours d’accord avec le résultat des votations, mais comme je suis dans un système démocratique fédéraliste, je les accepte. C’est intimement lié à cette valeur de liberté dont je vous parlais avant. Si quelque chose ne joue pas, les électrices et électeurs peuvent toujours agir pour faire bouger les lignes. C’est pour cela que je lutte pour l’indépendance de la Suisse: je ne veux pas que quelqu’un d’autre — ni à Bruxelles ni ailleurs — nous dise ce qu’on doit faire.
Une Suisse blanche, sans musulmans et sans État, c’est ça qui vous fait rêver?
Absolument pas! (Rires) Notre société a plusieurs facettes. Mais, nous ne devons pas sacrifier notre identité. On nous demande par exemple d’enlever les crucifix dans les bâtiments publics, d’enlever la viande dans les cantines à l’Université, d’accepter des règles qui ne sont pas les nôtres. Nous avons des traditions et nous devons les maintenir. Prenons l’exemple de Noël: je ne veux pas qu’on efface ce mot et sa signification de notre culture. Je ne veux pas renoncer à ce qui a contribué à faire de la Suisse ce qu’elle est aujourd’hui.
Mais si vous aviez une baguette magique, qu’est-ce que vous changeriez?
Permettez-moi de répondre en tant que Tessinois. Notre canton est sous pression car nous avons 75’000 frontaliers et j’aimerais pouvoir donner des opportunités de travail aux personnes qui résident chez nous. Et donc d’appuyer encore la préférence indigène.
Votre canton a besoin de ces frontaliers, non?
Nous avons toujours eu besoin de frontaliers mais il y a aujourd’hui un effet de substitution. On peut le voir dans l’augmentation extraordinaire de leur nombre et dans la diminution des salaires. Je ne comprends pas comment il est possible d’aller chercher des ressources en Lombardie pour les amener au Tessin plutôt que d’essayer de garder les bonnes têtes tessinoises qui partent en Suisse alémanique. Ce n’est pas le futur que je veux donner à mon fils et à ma fille.
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Et au niveau national: l’UDC de Marco Chiesa, c’est quoi?
Un parti libéral et conservateur qui s’engage pour les valeurs qui fondent notre parti: la responsabilité individuelle, la liberté, la sécurité, l’indépendance, la souveraineté… La population a pu le voir par le passé lorsque nous avons lutté contre la criminalité des étrangers et pour limiter l’immigration de masse. Elle le voit maintenant avec l’approvisionnement énergétique. Notre parti veut rester pragmatique, très loin des idéologies et des utopies.
Cela signifie qu’il est désormais interdit de rêver ou d’espérer?
Nous avons vécu une phase dans laquelle on ne parlait que du CO2. C’est un thème très important. Mais, ma foi, la stratégie de l’approvisionnement énergétique de notre pays doit prendre en compte la croissance, le bien-être de la population et sa stabilité. Je ne veux pas d’une Suisse dépendante du gaz russe ou du nucléaire français. La politique doit apporter des réponses et nous comptons bien nous faire entendre. Car aujourd’hui, notre pays risque le black-out.
Pour y parvenir, vous devrez aussi convaincre en dehors de la Suisse alémanique. Pourquoi l’UDC ne compte-t-elle pas en terres romandes?
Vous savez, j’ai quand même eu le plaisir de voir les récentes élections de deux conseillers d’Etat: Franz Ruppen en Valais et Philippe Demierre à Fribourg. Le parti agrarien est en train de croître, de se profiler comme le parti pour les petites et moyennes entreprises. De devenir le parti pour les personnes qui se lèvent tôt le matin. Et je pense aussi à toutes celles qui se lèvent avant 8h du matin, contrairement à Cédric Wermuth (le coprésident du Parti socialiste, ndlr.).
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Mais comment l’UDC compte-t-elle faire sa place dans les Exécutifs communaux et cantonaux de ce coin de pays?
En s’adressant aux personnes qui travaillent, qui paient des impôts, qui paient des salaires et qui portent en avant ce pays. Nous arrivons aussi avec des bonnes candidatures et des têtes bien faites, comme Michaël Buffat qui est candidat au Conseil d’Etat vaudois.
Parlons-en. Michaël Buffat est parmi les parlementaires fédéraux les plus à droite. C’est cette ligne que veut l’UDC?
Il faut avoir des valeurs claires et Michaël Buffat a prouvé qu’il en avait. C’est aussi une personne qui a la capacité de parler avec les autres, d’écouter et de trouver des solutions pragmatiques. Une capacité que nous avons toujours démontrée dans tous les Exécutifs où nous sommes.
Vraiment? Ueli Maurer n’hésite pourtant pas à critiquer publiquement les choix du Conseil fédéral.
Ueli Maurer est… Comment puis-je dire… Un esprit libre. Mais il y a aussi Guy Parmelin qui a démontré qu’il était un super homme d’Etat. Notre constitution dit que la collégialité doit exister et nous sommes un parti qui est capable de garder ce principe chevillé au corps. Mais, au Parlement, notre rôle n’est pas le même. Nous défendons avec conviction notre programme.
Ce samedi après-midi, vous êtes à Lausanne pour faire campagne. Ça vous donne la nausée d’être dans une de ces villes de gauche que vous détestez tant?
Non! J’ai étudié à Fribourg mais j’ai appris le français à Lausanne. Ma tante et mon oncle avaient une boutique et un restaurant, j’étais tout le temps sur la rue du Petit-Chêne. Mais j’ai constaté une grande transformation. Il y a un décalage incroyable entre les villes, dont Lausanne, et les régions périphériques. On peut citer l’initiative 99% ou encore les initiatives phytos extrêmes. Je crains que ce décalage puisse se creuser encore. Nous devons faire comprendre qu’il faut abandonner les utopies idéologiques et chercher des solutions bonnes pour toute la population. On ne peut pas bloquer la mobilité des automobilistes, on ne peut pas continuer à taxer à tout-va la population. La facture finit toujours par arriver.
En parlant de clivage: c’est toujours la guerre entre UDC agrariens, réputés plus centristes, et UDC des villes considérés comme plus durs et xénophobes par beaucoup?
(Il sourit) Non, pas du tout. J’ai le plaisir de pouvoir compter une vingtaine de parlementaires agrariens dans nos rangs. Ce sont justement eux les personnes pragmatiques, avec les pieds sur terre, qui nous donnent les bonnes solutions. Mais je ne suis fermé à aucune discussion entre les différentes tendances de nos membres. Comme pourrais-je me comporter ainsi à l’intérieur de mon parti, alors que je demande systématiquement plus de démocratie à l’extérieur?
L’UDC veut incarner la droite populaire. Mais arrivez-vous vraiment à attirer la foule? Un événement auquel vous deviez participer hier vers Payerne a été annulé et il paraît qu’il n’y a pas grand monde d’inscrit pour vous voir ce soir à Palézieux…
C’est une bonne question et il m’est très difficile de vous répondre. Nous sommes actuellement dans une situation pandémique. Depuis deux ans, de nombreux événements ont dû être annulés et je constate qu’il y a toujours un sentiment d’insécurité face au Covid au sein de la population. Mais un événement virtuel n’aura jamais la même valeur qu’un événement réel.
Pour un parti comme le nôtre, qui aime discuter avec la population, ces rencontres sont importantes. J’espère que nous sortirons bientôt de la situation actuelle et que nous pourrons rapidement nous retrouver comme avant. C’est un moment de souffrance et c’est très dur. Les jeunes ont particulièrement souffert des contraintes qui ont été imposées. Mais nous restons là pour la population.
Ça fait des années que vous avez deux sièges au Conseil fédéral mais vous jouez toujours les Calimero de l’opposition, notamment concernant les mesures sanitaires durant cette pandémie de Covid. C’est pas un peu facile?
Comme je le disais avant concernant les conseillers fédéraux, nous n’avons pas le même rôle qu’eux. Ils discutent et nous avons mis une stratégie très claire. Nous étions les premiers à dire qu’il fallait respecter les gestes barrières. Rappelez-vous le tollé lorsque Magdalena Blocher était venue au Parlement avec un masque…
Nous disions aussi qu’il fallait protéger les groupes à risque. Mais dans une pandémie, il faut essayer d’être le moins invasif possible. Cette pandémie nous a fait perdre deux ans de vie sociale et des gens ont même perdu leur vie professionnelle. Ce n’était pas facile pour le Conseil fédéral, mais ce n’était pas facile non plus pour notre parti qui cherchait des équilibres. Et je pense que le Conseil fédéral ne respectait pas toujours l’équilibre qui aurait dû s’imposer. Il a créé les bons citoyens — les vaccinés comme moi — et les autres. C’est regrettable.
De l’autre côté de la frontière, le candidat à la présidentielle Eric Zemmour cite souvent en exemple l’UDC. Ça vous flatte?
Je ne suis pas flatté par Zemmour ou par d’autres. Je m’intéresse aux dynamiques de certains pays comme la France et l’Italie et la France est un pays qui est tellement centralisé… Tout en haut, il y a le président. Ensuite c’est top-down. Ce n’est pas l’idée que j’ai de la démocratie. Zemmour a décrit la France d’antan. Il a décrit la France d’aujourd’hui et il a posé la manière dont il estime que le pays va évoluer si on ne fait rien du tout. C’est maintenant aux Français de décider. Notre valeur ajoutée en Suisse, c’est que la population peut toujours corriger le politique, quoi qu’il arrive. Ce n’est le cas nulle part ailleurs. La France a besoin d’un président. Mais elle a surtout besoin de la démocratie directe.
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L’admirez-vous, comme bon nombre de vos élus et partisans?
Pour moi, Zemmour, c’est tout nouveau. Vous, les francophones, vous le connaissez depuis des années puisqu’il a été journaliste et polémiste. Mais ce n’est pas mon cas. Son discours peut être valable pour son pays mais il ne le serait pas pour la Suisse. Beaucoup de gens le soutiennent parce qu’ils ont peur que la France se dégrade. Certains quartiers et banlieues ne sont plus gérés. Certains craignent vraiment un changement radical de la société française et la classe politique agace.
Et en Suisse, ressentez-vous un ras-le-bol des partis au sein de la population?
(Il hésite plusieurs secondes) Churchill disait que la démocratie est le pire des systèmes, à l’exclusion de tous les autres. Certains peuvent estimer que les partis sont un héritage du passé mais ces formations sont les vecteurs de notre démocratie directe. Et je ne pense pas qu’un mouvement sorti de nulle part puisse changer la donne dans notre pays. Les mouvements sont efficaces sur une thématique tandis que les partis apportent des réponses globales. Pour le dire simplement: les partis ne sont pas menacés.