J’ai sans doute raté quelque chose. Mais plus je lis la presse sportive qui, logiquement, se félicite de l’organisation très réussie de ces JO de Paris, plus je commence à ressentir un malaise. Sur toutes les images ou presque des compétitions, le plus souvent en arrière-plan? Des volontaires reconnaissables aux couleurs de leurs uniformes (t-shirt, short, baskets, chapeau...) fournis par le comité d’organisation.
Sur tous les clichés des spectateurs exubérants dans les fanzones? Ces mêmes volontaires accueillants, souriants, prêts à vous guider jusqu’à votre place, sur les gradins. Or rien sur leur statut de bénévole, certes clair au départ et accepté par les intéressés. Rien pour se demander si le fait de s’appuyer sur ces 45'000 bénévoles, alors que l’argent des sponsors privés coule à flot sur les Jeux, est encore acceptable en 2024?
Je voulais écrire cette chronique depuis la première semaine des Jeux. Mais j’ai préféré attendre. Alors que les JO de Paris s’achèvent ce dimanche, le moment est donc venu. Car même au sein du public et parmi les foules sympathiques de fans français venus avec leur drapeau bleu-blanc-rouge sur les épaules, personne ne semble s’en soucier. Normal.
Voici donc des milliers de jeunes et moins jeunes, dévoués à la réussite de cet événement hors normes, dont le mérite ne sera, a priori, pas récompensé pas autre chose que leurs kits olympiques et le lot de souvenirs qu’ils rapporteront chez eux. Ceci, dans un pays, la France, qui s’est presque mis à l’arrêt pour refuser la réforme des retraites jugée «antisociale». Ceci, dans une capitale, Paris, où la gauche arrivée (de peu) en tête lors des élections législatives des 30 juin et 7 juillet, envisage une volée de nouveaux impôts si Emmanuel Macron lui confie les clés du gouvernement.
Une expérience unique
Il ne s’agit pas de parler à la place de ces Français et Françaises qui, sciemment, ont fait le choix de donner du temps aux JO «pour vivre cette expérience unique», comme la plupart le disent si on les interroge. Le bénévolat est une richesse et un ciment social dont il faut d’abord se féliciter. Mais au profit de qui dans ce cas précis?
J’ai examiné, sur chaque lieu de compétition, la liste des sponsors bien mise en valeur. Elle est longue comme le bras. J’ai aussi compris, à la lecture des articles spécialisés, que des milliards d’euros de droits audiovisuels tombent dans l’escarcelle du CIO basé à Lausanne, sur les bords du Léman.
J’ai vu, comme vous tous sans doute, l’allégorie révolutionnaire de la cérémonie d’ouverture du 26 juillet, avec Marie-Antoinette décapitée en train de chanter «Ah, ça ira…», le refrain des sans-culottes de 1789 qui ont pris la Bastille pour en finir avec les privilèges. L’égalité, c’est donc juste pour la parade?
J’ai sans doute raté des prises de parole. Je suis sûr que des sportifs médaillés ont réclamé, eux aussi, que ceux qui ont rendu ces Jeux possibles soient dûment récompensés. J’imagine que les sponsors eux-mêmes, à commencer par la compagnie financière dont les cartes de crédit constituent le seul moyen de paiement autorisé sur les sites olympiques, m’ont déjà devancé.
Je suis certain que les éditorialistes, tous affairés à entonner à juste titre le «cocorico» de la formidable réussite tricolore, ont eu le même réflexe que moi. Si c’est le cas, corrigez-moi. Mais si ce n’est pas le cas, alors peut-être faudrait-il s’interroger un peu?
Toute peine mérite salaire
Vous connaissez la formule: «toute peine mérite salaire». Et bien oui. Surtout lorsqu’elle a pour but de rendre possible une formidable grand-messe sportive, dont personne n’ignore qu’elle cache en coulisses des histoires de gros sous à tous les étages. Voilà, je m’arrête là. Pas question de parler à la place de ces 45'000 volontaires dont la générosité sera, espérons-le, mise en évidence et saluée comme il faut lors de la grande parade olympique du 14 septembre sur les Champs-Élysées. Emmanuel Macron a prévu, avant, une grande réception ce lundi 12 août à l’Élysée.
Les forces de l’ordre, les militaires, le personnel des transports parisiens, celui des municipalités impliquées, tous rémunérés, seront félicités. Et si tous les médias, dans une France où le thème dominant des dernières élections était le pouvoir d’achat, demandaient au CIO de faire un geste? Un geste populaire. Et vraiment olympique.
Pour réagir à cette chonique: richard.werly@ringier.ch