Marcel Pagnol en aurait fait un roman ou un film. Avec ce qu’il faut de citations forgées sur la Canebière, la fameuse avenue marseillaise qui part du Vieux-Port et symbolise la ville, son accent, ses excès et sa personnalité unique. Imaginez la scène: Marius et Panisse, les deux héros de Pagnol, en train de deviser sur les JO 2024.
- Tu y crois toi, à ces Jeux qui nous viennent de Paris, assènerait le premier
- Rien que d’en parler, ça me fatigue. Mais que veux-tu, les gens d’ici se fichent bien de Paris, répliquerait le second
- Alors, on fait quoi, on dit seulement JO 2024?
- Non, on joue le jeu, on laisse Paris sur l’affiche, mais partout, on dit «Vive Marseille olympique»
J’ai passé la journée de jeudi sur la plage du Prado, au centre olympique pour les compétitions de voile et de kitesurf, à imaginer ce dialogue avec l’accent et ce qu’il faut de pastis, en me demandant si ce miracle-là n’est pas le plus extraordinaire accompli par ces Jeux. Avoir réconcilié les deux métropoles les plus antagonistes de l’hexagone. Avoir fait de Marseille la rade maritime de Paris. Avoir, en quelque sorte, fait couler la Seine dans la Méditerranée. Avoir «vendu» aux Marseillais un projet parisien, alors qu’une autre rade, celle de La Rochelle, rêvait aussi d’accueillir les compétitions de voile.
Des travaux et des Jeux
J’ai posé la question à David Galtier, le vice-président de la métropole marseillaise chargé de ces JO qui, de la Corniche Kennedy au Prado en passant par le Vieux Port et la Canebière, sont aussi un énorme succès. Il a d’abord posé ses lunettes noires. Il a commencé par m’égrener tous les travaux réalisés pour accueillir «les Jeux». Je ne l’ai pas entendu, pour dire la vérité, prononcer le nom de Paris dans son argumentaire. Et pourtant, la capitale est bien-là, sur la couverture du dossier de presse intitulé «Place aux Jeux».
«Franchement, on a formidablement coopéré. Paris-Marseille, ça marche quand on se bat pour un même objectif. On l'a montré lors de la Coupe du monde de rugby et lors de la visite du Pape», admet l’intéressé, qui accueille les ministres et les invités de marque à la pelle, les pieds dans le sable, depuis le 26 juillet. Marseille, l’autre capitale des JO avant Châteauroux (le tir) Nice, Lyon ou Lille (football et basket), Vaires sur Marne (Canoë)? «Regardez ce que nous offrons. Cette baie. Ce spectacle. Nous aussi on écrit la légende.»
Une vraie trêve
J’avais sillonné le département de Seine-Saint-Denis, et les villes de Saint-Denis et Saint-Ouen (nord de Paris) pour voir comment la préparation des Jeux 2024 y a transformé le paysage urbain. Ce n’est pas le cas à Marseille. Pas de ligne de tram ou de métro prolongée. Mais plusieurs stations aménagées pour les handicapés et une vraie trêve.
Imaginez la cité phocéenne qui fonctionne, et bien c’est maintenant, pour les JO: «Les lignes de bus entre le Vieux Port, le centre-ville, le stade Vélodrome et le Prado ont été multipliées et n’ont jamais buggé», poursuit l’édile. «On a rajouté des pistes cyclables sur la Corniche. La métropole s’est emparée de ces Jeux pour les offrir à tous les Marseillais. Allez voir le site de préparation nautique sur les îles du Frioul: toutes les délégations nous ont félicités.»
J’ai croisé le regard de Cédric Dufoix, l’interface entre la métropole et le COJO, le Comité d’organisation des JO. Même son de cloche. Paris est devenu Marseillais: «Seul le Mistral, ce vent qui d’habitude déferle sur la ville, nous a réservé quelques mauvaises surprises. Vous imaginez Marseille sans vent? Et bien, on a du s’adapter».
J’ai surtout constaté ce que Paris 2024 a réussi. Faire taire les luttes entre la Métropole (contrôlée par la droite, elle rassemble 92 communes) et la ville de Marseille (aux mains de la gauche). Faire même taire les armes qui, d’habitude, font des morts et des blessés lors des règlements de compte dans les quartiers nord, sur fond de trafic de stupéfiants.
Marseille est heureuse. Elle se sait aimée, au sommet de l’État, par Emmanuel Macron. Deux kite-surfeurs passent devant le bateau qui transporte les spectateurs du centre olympique. L’un d’entre eux est dans l’eau, faute de vent. Quelques minutes plus tôt, la navigatrice suisse Maud Jayet a lâché une coulée de larmes sur Marseille, la ville qui ne l’a pas faite reine. La Vaudoise a raté le podium de peu et repart donc sans médaille de bronze.
Les Suisses et Marseille
Les Suisses, pourtant, ont toujours aimé Marseille. Ils furent nombreux à s’y installer durant l’entre-deux-guerres pour y servir sur les navires en partance pour les colonies et l’Asie. Bien avant, dès la révolution, les protestants helvètes y devinrent négociants, armateurs, banquiers. Alors qu’à Paris, lors de la terrible nuit du 10 août 1792, les gardes suisses de Louis XVI étaient décimés par les révolutionnaires: «Ne faites pas confiance à Paris rigole un volontaire d’Aubagne, la ville de Pagnol. Gardez les Parisiens à distance». Et de désigner la silhouette de Notre Dame de la Garde, entre deux voiles: «Vous imaginez un peu ce qu’auraient été ces jeux 2024, si le CIO nous les avait confiés?»
Alors, Marseille-Paris, vous choisissez qui? richard.werly@ringier.ch