Les «cocoricos» sportifs ont eu raison de la surenchère fiscale. Du moins pour le moment. Plus question, à l’heure des JO de Paris, supposés apporter à la France et à sa capitale une vitrine mondialisée exceptionnelle, de débattre de leur coût, du manque à gagner très sérieux pour des milliers de commerçants parisiens, et de l’omniprésence des sponsors sur tous les sites de compétition.
La magie de Teddy Riner (à nouveau sur la première marche du podium) et des athlètes en course pour les médailles a opéré. Voici la République réconciliée avec ce grand déferlement capitaliste sportif piloté par un CIO toujours plus impitoyable en matière de droits audiovisuels et de revenus financiers.
Vous allez m’accuser d’être «anti-sport». C’est ce que tous mes collègues français, journalistes sportifs, me reprochent lorsque j’ose évoquer devant eux, depuis la cérémonie d’ouverture, les douloureuses questions sur l’arrière-cour financière du grand barnum olympique. Silence! On se tait! Cet argent qu’une bonne partie de l’opinion française voue d’ordinaire aux gémonies est aujourd’hui louable et acceptable, puisqu’il se pare de fierté nationale.
L’omniprésence de LVMH
Soit. Je ne questionnerai donc pas, comme l’a fait le «New York Times» à la veille de la cérémonie d’ouverture du 26 juillet, l’omniprésence du géant du luxe LVMH. «Pour LVMH, les Jeux olympiques sont les bienvenus, mais ne sont pas sans risque. Les réactions à la participation du conglomérat aux Jeux ont été relativement – et étonnamment – exemptes de critiques, alors que les enjeux sont importants», relevait ironiquement le quotidien américain, peu susceptible d’être mal intentionné envers les milliardaires.
Je cite le «New York Times», dont les affirmations ont ensuite été reprises par «Le Monde» et «La Croix»: «LVMH a investi 150 millions d’euros (163 millions de dollars) dans les Jeux olympiques de 2024, un pari pour une marque qui a longtemps commercialisé ses produits dans les hautes sphères de la société. Et l’entreprise ne se contente pas d’apposer son nom sur l’événement. Elle met ses produits un peu partout.».
Une compétition Louis Vuitton
Pas convaincus? Alors lisez un peu: «Louis Vuitton a créé la malle qui porte la flamme olympique et les plateaux de médailles pour les cérémonies de victoire. Plusieurs autres sociétés de LVMH sont également impliquées. Le joaillier Chaumet a conçu les médailles, qui comporteront toutes un morceau de fer forgé de la Tour Eiffel. Berluti a dessiné les tenues portées par l’équipe de France lors de la cérémonie d’ouverture». De quoi justifier ce titre du Canard Enchainé: «JO: Bernard Arnault, médaille d'or du piston et de l'autopromo».
Je n’ai pas entendu Jean-Luc Mélenchon et les élus de La France Insoumise (gauche radicale) s’en offusquer. Et encore moins la maire socialiste de Paris Anne Hidalgo, dont le montant abyssal de la dette municipale (près de huit milliards d’euros), avoisine le budget officiel de ces Jeux (neuf milliards), dont tout le monde anticipe qu’il sera dépassé. Sans que personne, pour l’heure, n’ose avancer de chiffres et d’inquiétudes. D'accord, les JO de Paris coûteront moins cher moins cher que Tokyo 2020, Rio 2016 et Londres 2012. Mais ils confirment une règle dans un pays toxicomane aux déficits: la loi de la joie olympique est bien plus forte que les équilibres comptables.
Prêt à plaider coupable
J’étais moi-même prêt à remballer mon argument et ma chronique. J’envisageais presque de plaider coupable, et de regretter en public d’oser poser d’aussi stupides et matérielles questions, alors que la fierté tricolore est assénée comme une obligation presque à chaque fois que j’allume un écran. Et puis une lecture m’a rassuré: celle de l’entretien consacré à Pierre de Coubertin dans la revue «Politique Internationale» par un vétéran des arcanes du CIO, Armand de Rendinger.
L’intéressé fut l’une des pièces maîtresses de la candidature de Paris pour les jeux de 2012, raflés par Londres. Or que dit-il? «L’Olympisme n’est plus un simple idéal ou un vent éthéré qui survole notre société, au travers de sa force internationale d’éducation et de paix. Il est devenu le réceptacle d’une manne financière. Les vertus de l’olympisme et les bienfaits de l’argent, en quelque sorte, consacrent le mariage réussi […] du gigantisme entretenu des JO et de toutes les dérives ou turpitudes.»
Je n’ai donc pas tout faux. L’argent et le poids des marques pendant ces JO sont bien le tabou français qui se porte le mieux, après une cérémonie où le metteur en scène a fait chanter à Marie-Antoinette décapitée le «Ah ça ira! », cri de ralliement des sans-culottes contre les privilèges et les aristocrates. La France de 2024 est ainsi, empêtrée dans ces contradictions.
Refermons la boîte à critiques
J’allais donc refermer la boîte à critiques et me diriger, pour regarder les compétitions et applaudir les athlètes médaillés, vers la Maison suisse de Paris, elle aussi sponsorisée comme il se doit. Jusqu’à ce que je reçoive un texte de Rokhaya Diallo, avec qui j’étais cette semaine sur le plateau de BFM TV. Car elle aussi interroge, dans «The Guardian», ce tabou des JO.
«Pour que ces Jeux aient lieu, Paris a dû entreprendre un programme de nettoyage social intense écrit-elle. Selon une enquête du collectif Le revers de la médaille, 12'545 personnes (dont 3434 mineurs) ont été expulsées – parfois de force – dans toute la région parisienne entre avril 2023 et mai 2024, soit une augmentation de 38,5% par rapport à la période 2021-22 (deux fois plus que l’an dernier, et presque trois fois plus qu’en 2021-22 pour les mineurs). Le groupe affirme qu’en plus des expulsions, le 'harcèlement' des communautés vivant à proximité des sites accueillant les événements olympiques a été généralisé.»
Alors, ce tabou olympique?
Pour débattre, écrivez-moi: richard.werly@ringier.ch