Baston, fastfood et mensonges
Les sept mois qui ont plongé le FC Sion en enfer

Le FC Sion a connu la quatrième relégation de ses 114 ans d'histoire, mardi soir à Lausanne. Une chute libre après sept mois de chaos et de polémiques. Récit d'une folle fin de saison marquée par les frasques des joueurs et les lubies du président Constantin.
Publié: 07.06.2023 à 17:20 heures
|
Dernière mise à jour: 14.06.2023 à 15:12 heures
Paolo Tramezzani et les supporters valaisans n'ont pas pu éviter la bascule en Challenge League mardi soir à la Pontaise.
Photo: Keystone
10 - Ugo Curty - Journaliste Blick.jpeg
Ugo CurtyJournaliste Blick

Par où commencer pour raconter les sept derniers mois d’une saison qui a fait chuter le FC Sion en deuxième division? Une succession de frasques et de polémiques dignes d’une série TV à couper le souffle. Sans happy end par contre.

Le plus simple, c’est peut-être de respecter l’ordre chronologique. Le premier chapitre remonte au mois de novembre dernier, juste avant la Coupe du monde au Qatar. Le FC Sion encaisse la pire défaite de son histoire à Tourbillon. C’est le début de la fin.

1

Un coach viré sous les cocotiers

Paolo Tramezzani a payé cher son départ en vacances.
Photo: Urs Lindt/freshfocus

7-2 contre Saint-Gall. Jamais le public valaisan n’avait assisté à pareille déroute à Tourbillon, un stade vieux de 55 ans. Le FC Sion aurait pu partir en vacances hivernales en étant sur le podium provisoire de Super League, le club chute finalement à la huitième place avant cette trêve. «C’est une défaite embarrassante, vraiment pénible à vivre», assumait Paolo Tramezzani qui demande pardon aux supporters. L’entraîneur italien ne le sait pas encore, mais il s’apprête à perdre son job, viré pour la troisième fois par Christian Constantin.

Le président fulmine après cette claque. Il en veut à son coach qui est parti se ressourcer aux Maldives. «Visiblement, les vacances semblent être une priorité nettement plus importante que tout le reste, tacle le dirigeant sur lematin.ch. Et ça, ça me gêne un peu. Pour tout dire, ça me fait quinter…» Soi-disant injoignable, le vacancier est démis de ses fonctions une semaine plus tard.

Paolo Tramezzani est revenu sur cet épisode, il y a trois semaines en conférence de presse. Christian Constantin venait alors de le rappeler en catastrophe pour sauver les meubles. L’entraîneur n’avait toujours pas la même lecture des événements que CC, même six mois plus tard: «Ce congé de quatre semaines était convenu de longue date, en accord avec les dirigeants, et toutes les dates de la préparation hivernale étaient connues. C’était la première fois depuis dix ans que je pouvais partir avec ma fille et ma femme, qui a failli mourir à cause d’une grave maladie. Je n’ai pas manqué de professionnalisme, je savais comment repartir avec l’équipe. Cela dit, je peux comprendre qu’un président envisage de faire des changements après une telle défaite. Je me dois d’accepter les décisions des autres. J’ai montré mon respect pour le club en ne commentant pas publiquement mon départ.»

2

Un camp de préparation transformé en enterrement de vie de garçon

Les premières semaines de Fabio Celestini sont chaotiques à l'interne, à l'image du camp hivernal organisé en Espagne.
Photo: Pascal Muller/freshfocus

Fabio Celestini entre officiellement en fonction le 12 décembre. Six jours plus tard, l’Argentine bat la France en finale de la Coupe du monde. Le coach vaudois prône la discipline et l’intensité. Il ne restera finalement en poste que trois mois en Valais.

Ses premières semaines à la tête de l’équipe sont lunaires, à l’image d’un camp de préparation en Espagne que les joueurs transforment en immense enterrement de vie de garçon. Mario Balotelli, en bon capitaine, fait preuve de leadership. Sa chambre d’hôtel est l’épicentre des festivités, accueillant plusieurs invitées. Pour une fois, la superstar la joue collectif.

Un matin, Fabio Celestini descend déjeuner et croise son joueur en état d’ébriété dans le lobby de l’hôtel de l’équipe. Ils n’ont visiblement pas passé la même nuit. «Super Mario» est annoncé blessé le 8 janvier pour la première rencontre amicale du FC Sion sur la Costa del Sol, perdue 3-0 contre Stuttgart. Le club protège néanmoins sa recrue phare de l’été: «Mario a ressenti une douleur à la cuisse, nous précise-t-on par la voie officielle. Il va continuer de recevoir des soins et faire des contrôles ce mardi encore.»

3

Du Fast-food pour fêter une défaite

La défaite concédée à Bâle le 11 février est symptomatique du mal sédunois.
Photo: Marc Schumacher/freshfocus

La reprise du FC Sion en championnat est catastrophique. Trois matches, deux défaites et un nul miraculeux contre Servette dans le derby. Les Valaisans se rendent à Bâle le 11 février sans Mario Balotelli, annoncé blessé. Le communiqué de presse du club affirme qu’il souffre de la cuisse. Barth Constantin, directeur sportif, explique lui au Parc Saint-Jacques que c’est le genou. Mais de quoi souffre «Super Mario»? «Je ne suis pas médecin», élude froidement Fabio Celestini. On apprendra deux jours plus tard, grâce au Matin, que l’attaquant a en fait été suspendu à l’interne pour un retard à l’entraînement. «Balo» est pourtant véhiculé par un chauffeur privé depuis un retrait de permis en Suisse.

A Bâle, Sion s’incline encore 3-1. Fabio Celestini va perdre une partie de son vestiaire dans le car qui les ramène en Valais. Certains représentants de l’équipe viennent voir le coach pour lui demander de s’arrêter et se restaurer dans un fastfood sur l’autoroute. Intransigeant, le Lausannois refuse catégoriquement. Cela passe mal auprès de ses ouailles. «Au FC Sion, les joueurs n’ont pas la culture du travail», taclera le technicien, quelques jours après son licenciement.

4

Pris dans une bagarre à carnaval, Balotelli frappe Barth par erreur

Une semaine après la bagarre, Barth Constantin garde des stigmates sur son œil gauche.
Photo: Urs Lindt/freshfocus

Une semaine plus tard, les Sédunois sont incapables de battre Winterthour à la Schützenwiese (1-1). C'est même le seul point que l’équipe parviendra à obtenir en quatre rencontres contre le modeste néo-promu zurichois. Avec un coup d’envoi le samedi à 18h, les joueurs du FC Sion retrouvent le Valais après minuit.

Le Carnaval du Bourg bat alors son plein à Martigny, à quelques encablures du siège historique du club. Barth Constantin décide d’y emmener Mario Balotelli, histoire de le sensibiliser aux coutumes locales. Le duo se déguise pour rester incognito: l'un s'habille en personnage de la série «Casa de Papel», l'autre devient Pikachu.

Quelqu'un reconnaît quand même l’Italien en fin de soirée et le filme. «Super Mario» n’apprécie pas que sa présence soit immortalisée par un fêtard. Des insultes fusent, une bagarre éclate et l'inconnu se retrouve au sol. Le directeur sportif se jette pour le protéger. Sa bravoure est mal récompensée: Barth reçoit en plein visage un coup de poing qui ne lui était pas destiné, de la part du numéro 45 du FC Sion.

Son œil est encore injecté de sang sept jours plus tard quand il prend place sur le banc de l’équipe lors de la venue de Saint-Gall à Tourbillon. Une nouvelle claque contre le FCSG de Peter Zeidler. A la fin du match, des supporters brûlent le maillot de Mario Balotelli contre un grillage du stade. L’image est forte et laisse présager des semaines à venir.

La seconde démonstration saint-galloise en Valais provoque à son tour… le départ de Fabio Celestini. Officiellement, par séparation «à l’amiable».

5

Eliminé en Coupe, Constantin envoie son fils devant les médias

Le retour de Christian Constantin sur le banc ne s'est pas passé comme prévu.
Photo: Keystone

Christian Constantin vire donc son deuxième entraîneur en l’espace de quatre mois et décide de prendre lui-même en main «son» FC Sion. L’autoproclamé coach CC a une seule mission: se qualifier pour les demi-finales de la Coupe de Suisse en recevant Lugano. Le trophée lui échappe depuis huit ans.

Encore raté: une cinglante élimination 3-0 et des choix hasardeux du président transforment ce match en fiasco. Habituellement si à l’aise face aux micros, Constantin Sr. envoie son directeur sportif de fils expliquer cette énième déroute devant les journalistes en conférence de presse. «Je suis là: il faudra poser la question à mon père la prochaine fois pour savoir pourquoi», justifie tant bien que mal Constantin Jr.

Ce n’est pas la première fois de la saison que Barth Constantin fait face à ses responsabilités dans cette fin de saison chaotique. Le dirigeant de 28 ans a souvent étonné en bien par ses prises de position claires et sa capacité à assumer ses responsabilités. Il l’a encore fait mardi soir à la Pontaise, une fois la relégation actée.

6

David Bettoni chez les «Valois»

Malgré sa bourde médiatique, David Bettoni était parvenu à relancer cette équipe du FC Sion.
Photo: Urs Lindt/freshfocus

En mars, juste après la cuisante élimination en Coupe contre Lugano, Barth Constantin laisse sous-entendre que Paolo Tramezzani pourrait déjà revenir à la tête de l’équipe. Le lendemain, le FC Sion annonce pourtant l’arrivée de David Bettoni à ce poste. Il n’y a décidément qu’en coulisse que les appels-contre-appels sont efficaces dans ce club.

Le Français est (in)connu pour n'avoir été que l’ombre de Zinédine Zidane au Real Madrid. Alors que le club est en danger, CC décide de lancer un technicien de 51 ans qui n'a aucune expérience en tant qu’entraîneur principal au haut niveau. «Si j’avais eu le moindre doute, je n’aurais pas signé au FC Sion», déclare tout sourire le Lyonnais lors de sa conférence de présentation. Ses appréhensions ne vont pas tarder à apparaître.

Ses débuts sur le terrain d’YB ne pouvaient même pas plus mal tourner. Un premier but encaissé après deux minutes, Giovanni Sio qui prend rouge dans la foulée et une défaite 4-0 chez le leader. David Bettoni commet ensuite un impair de marque, avant même le coup d’envoi. Au micro de nos confrères de Blue, l’entraîneur remercie les «Valois» (le nouveau nom donné aux habitants du Valais) pour leur «formidable accueil».

Malgré cette première marche ratée, David Bettoni parvient pourtant à redonner vie à une équipe dont l’électrocardiogramme est plat. Il va chercher des types au placard ou chez les M21 et renvoie en tribunes des stars qui traînent les pieds.

Même les vannes acerbes de Thomas Wiesel au gala du FC Sion ne lui font pas peur. L’humoriste vaudois a pourtant vu juste. En fouillant dans la page Wikipédia de cet ancien joueur au parcours moyen, il dresse l’impressionnante liste de six relégations vécues sur le terrain. «Je comprends mieux pourquoi Constantin l’a engagé. C’est un vrai savoir-faire. C’est David la scoumoune. Il a fait plus de descentes que Beat Feuz ce Monsieur.» Depuis son canapé, David Bettoni peut donc en rajouter une septième, sa première en tant qu’entraîneur.

7

CC dégage son coach à la mi-temps

Christian Constantin a perdu son sang froid à la Praille alors que son club est mené 3-0 à la pause dans le derby du Rhône.
Photo: Keystone

Tout s’est dégradé en deux semaines seulement. Il y a d’abord un match fou au Letzigrund où le FC Sion se fait voler la victoire sur un penalty inexistant (2-2). La semaine d’après à Tourbillon, l’arbitrage est encore au centre de l’attention. La VAR appelle Luca Cibelli qui annule un penalty valaisan contre Winterthour, adversaire direct contre la descente. La décision est défendable, bien que très procédurière.

C’en est trop pour Christian Constantin qui tombe dans la théorie du complot, écrit une lettre dont lui seul a le secret où il demande même à la FIFA de mettre sous tutelle les sifflets suisses.

CC décapulsera deux fois en l’espace de cinq jours. Le samedi qui suit, son FC Sion sombre corps et âme lors du derby du Rhône contre Servette le 13 mai (5-0). Le score est déjà de 3-0 à la mi-temps. C’en est trop pour le président qui descend dans le vestiaire, hors de lui. Il oblige son coach à faire trois changements et hurle à David Bettoni qu’il est viré. Durant ces 15 minutes incroyables, Christian Constantin, boxeur a ses heures perdues, aurait même failli se battre avec Dimitri Cavaré, selon le portail alémanique nau.ch qui évoque des scènes dignes du Far West. Un récit contesté par CC lui-même qui a raconté sa version des faits dans «Blick».

Au Stade de Genève, Mario Balotelli décide de son propre chef de ne pas revenir sur le terrain, après une première mi-temps ignoble (digne d’un «zombie» pour reprendre les mots de Michel Pont). Il est remplacé par Musa Araz. Ce demi-match pourrait bien être son dernier sous le maillot du FC Sion. «On doit régler des choses», a souligné Barth Constantin mardi soir, reconnaissant s’être «totalement trompé sur lui».

8

Les bains thermaux, avant la noyade

Nathanaël Saintini et le FC Sion n'ont jamais pu se relever.
Photo: Pascal Muller/freshfocus

Vous voici arrivé au huitième et dernier chapitre de ce récit cataclysmique. Tout d’abord, bravo pour votre endurance et votre abnégation. Peu de joueurs du FC Sion ont fait preuve de ces deux valeurs sur une aussi longue durée cette saison.

Mardi soir, les larmes de l’équipe valaisanne faisaient mal au cœur. Notamment l’émotion de Gaëtan Karlen, seul Sédunois qui s’est présenté devant les journalistes pour mettre des mots sur cette débâcle. «Je ne sais pas de quoi sera faite la suite pour moi. Ce n’est pas évident d’arriver en fin de contrat dans une situation pareille», a reconnu celui qui «fête» son 30e anniversaire en ce mercredi 7 juin.

Le FC Sion chute donc 4-2 dans un barrage où le Petit Poucet lausannois a dominé les débats. Un club de quartier, sans véritable public, qui évoluait encore en 2e ligue interrégionale (5e division) en 2014.

Pour préparer cette double confrontation de la dernière chance, l’équipe a demandé au staff de pouvoir bénéficier d’un stage de préparation. Ils ont choisi les Bains de Saillon. Sur son site, l’hôtel de la station thermale se vante d’un «vaste choix d’installations pour se ressourcer, se divertir en famille et passer d’agréables moments de détente». Pas certain que c’était le meilleur endroit pour se préparer à sauver sa peau et le job de dizaines d’employés du FC Sion. Mais c'est finalement une destination à l'image des ces derniers mois hors-sol.

Credit Suisse Super League 24/25
Équipe
J.
DB.
PT.
1
FC Lugano
FC Lugano
18
6
31
2
FC Bâle
FC Bâle
18
21
30
3
FC Lausanne-Sport
FC Lausanne-Sport
18
9
30
4
FC Lucerne
FC Lucerne
18
3
29
5
Servette FC
Servette FC
18
2
29
6
FC Zurich
FC Zurich
18
-1
27
7
FC Sion
FC Sion
18
4
26
8
FC St-Gall
FC St-Gall
18
6
25
9
Young Boys
Young Boys
18
-4
23
10
Yverdon Sport FC
Yverdon Sport FC
18
-12
17
11
Grasshopper Club Zurich
Grasshopper Club Zurich
18
-10
15
12
FC Winterthour
FC Winterthour
18
-24
13
Vous avez trouvé une erreur? Signalez-la