«Qui aurait pu s’imaginer que le temps se serait si vite écoulé? On fait l’bilan. Calmement. En s’remémorant chaque instant.» Tels les Nèg Marrons en 2000, il est l’heure de regarder dans le rétroviseur de cette année séries. Un cru épuisant, avec des centaines de productions sur des plateformes toujours plus nombreuses et une redistribution des cartes. Preuve en est avec la perte de vitesse de Netflix, au profit de la montée en puissance de Disney+ et des choix toujours plus pointus et éclairés d’AppleTV+. Riche et dense, ce millésime 2022 est sublimé par de brillantes réussites. Voici notre top, forcément subjectif, des dix meilleures séries de l’année, par ordre décroissant de préférence.
Infiniti
À la croisée des chemins entre la science-fiction, le film noir et l’enquête policière, «Infiniti» est la très bonne surprise de l’année, qui n’a pas connu le succès qu’elle mérite. Lorsqu’un accident se produit à bord de la station spatiale internationale, une jeune astronaute française, Anna Zarathi, est appelée à la rescousse. Dans le même temps, près du centre de Baïkonour, au Kazakhstan, un opiniâtre policier tente de démêler le mystère d’un cadavre retrouvé en plein désert. Ce point de départ débouche sur une ample série remarquablement bien interprétée, filmée dans des paysages naturels magnifiques, qui flirte avec la réflexion mystique et métaphysique. «Infiniti» possède la première des qualités pour une série à l’heure de l’inflation de la production: elle ne ressemble à aucune autre.
À voir sur Canal+
The Dropout
L’adaptation à l’écran d’histoires vraies est toujours une gageure, le risque de tomber dans l’illustration bête étant grand. La plateforme Disney+ a prouvé à plusieurs reprises cette année qu’elle était capable de s’en tirer avec les honneurs, notamment avec «The Dropout», qui s’intéresse à l’ascension puis la chute d’Elizabeth Holmes. Cette entrepreneuse est devenue en 2015 la plus jeune milliardaire américaine autodidacte avec le lancement de Theranos, une start-up qui promettait de révolutionner la médecine. Il s’agissait en réalité d’une immense escroquerie et, cette année, Elizabeth Holmes a été condamnée à plus de 11 ans de prison. «The Dropout» analyse finement l’ambition démesurée d’une jeune louve déconnectée, merveilleusement interprétée par Amanda Seyfried. Sa performance est d’ailleurs tellement bluffante que l’actrice Jennifer Lawrence, qui devait elle aussi incarner Elizabeth Holmes au cinéma, a jeté l’éponge. Avec ce commentaire: «J’ai trouvé qu’elle (Amanda Seyfried) était formidable. Je me suis dit que nous n’avions pas besoin de le refaire. Elle l’a déjà fait.»
À voir sur Disney+
Bad Sisters
Diffusée en plein coeur de l’été, «Bad Sisters» est l’une des meilleures comédies de l’année. L’humoriste irlandaise Sharon Horgan a choisi de raconter une histoire de famille: celle des quatre soeurs Harvey, Eva, Becka, Bibi et Ursula, qui s’unissent pour se débarrasser du mari de la cinquième, Grace. Et pour cause, John-Paul est un homme toxique qui détruit savamment la vie de toutes les personnes qui l’entourent. Évidemment, rien ne se passera comme prévu et les dix épisodes délicieux de «Bad Sisters» sont riches en rebondissements et gags hilarants. Surtout, la série propose de très beaux portraits de femmes et une intéressante réflexion sur l’emprise et la nécessité de la sororité. La seule inquiétude à avoir, c’est que «Bad Sisters» a tellement bien marché qu’une saison 2 est en production. Et on se demande si Sharon Horgan va pouvoir se renouveler.
À voir sur AppleTV+
En Thérapie saison 2
Adapter «BeTipul», série israélienne qui se déroule intégralement dans le cabinet d’un psychanalyste, était déjà un sacré défi. Le faire à la française en était un autre. Livrer une deuxième saison aussi réussie que la première relève du petit miracle. C’est pourtant ce qui s’est produit au printemps dernier avec la saison 2 d’«En Thérapie», toujours supervisée par les réalisateurs Olivier Nakache et Éric Tolédano. De simples conversations entre le professionnel et ses patients, la série tire de passionnantes réflexions sur la mort, l’amour ou le sens de la vie. Et parvient, sans crier gare, à émouvoir profondément.
À voir sur Arte
Irma Vep
Une série… sur le tournage d’une série. Voilà le point de départ méta d’«Irma Vep», signée Olivier Assayas. Le réalisateur offre un remake à son propre film du même titre, qui était déjà une sorte de variation d’un vieux film français de 1915. Cette fois, c’est la brillante Alicia Vikander qui incarne le rôle de Mira, actrice désireuse de jouer dans autre chose que des blockbusters, et prête à commencer en France le tournage d’une série. Ce qu’elle ignore, c’est qu’elle va devoir travailler avec un acteur accro au crack, un réalisateur dépressif et volontiers violent, et une équipe surmenée. Alternant l’humour et la noirceur, «Irma Vep» est une formidable mise en abyme de la création artistique. Forcément intello, mais passionnant.
À voir sur OCS
Yellowjackets
Quel est le principe même d’une série? Avoir envie, à la fin d’un épisode, de passer au suivant. Voilà une promesse tenue par «Yellowjackets», qui a fait un carton aux États-Unis fin 2021 avant de débarquer en Suisse sur Canal+. L’histoire est celle d’une équipe féminine de football universitaire qui se retrouve perdue en pleine nature après un crash d’avion. Les jeunes filles vont devoir survivre seules dans la forêt pendant des mois. Parallèlement, la série s’intéresse aux survivantes du drame qui, plusieurs années plus tard, ont repris le cours de leur vie, mais restent hantées par cette expérience, dont on devine aisément qu’elles n’ont pas tout raconté. La réussite de «Yellowjackets» tient évidemment à sa maîtrise des rebondissements et des codes du thriller et de l’horreur, mais aussi à un casting impeccable de bout en bout. La saison 2 est (très) attendue en mars prochain!
À voir sur Canal+
Oussekine
Oui, c’est encore une histoire vraie, encore adaptée par Disney+ et… encore un succès. En quatre épisodes, la série «Oussekine» raconte la mort de Malik Oussekine, étudiant français d’origine algérienne, battu à mort par des policiers en 1986. Une page sombre de l’histoire hexagonale qui n’a jamais été portée à l’écran jusqu’à cette année (avec cette série mais également un film, «Nos frangins»). Il y a pourtant dans cette histoire de nombreux échos avec les débats de société actuels, de la violence policière au racisme systémique, en passant par l’intégration des deuxième et troisième générations d’immigrés. Précise et bouleversante à la fois, «Oussekine» est une grande série politique et romanesque.
À voir sur Disney+
Atlanta saison 4
Rappeur, acteur, réalisateur, producteur… Donald Glover sait tout faire. Même réussir la fin d’une série, exercice difficile s’il en est. La preuve avec la quatrième et dernière saison de son bébé, «Atlanta». Cette fiction inclassable suit les traces d’Earn, un jeune trentenaire paumé, et son cousin Paper Boi, rappeur dont il devient le manager. Caricature de l’industrie de la musique, violente charge contre le racisme et les inégalités aux États-Unis, «Atlanta» est aussi une série qui ose tout, s’écarter de son sujet avec des épisodes entièrement détachés de l’histoire comme instiller du fantastique dans sa narration. Dans la lignée de «Twin Peaks», «Atlanta» brille comme l’une des séries les plus originales de la décennie.
À voir sur OCS
Severance
Diffuser sur la plateforme d’Apple une série qui égratigne une multinationale dont le fondateur est adulé par ses salariés est déjà, en soi, un acte de bravoure. Mais le mérite de «Severance» ne s’arrête pas là. En partant d’un thème bien connu de la science-fiction, celui de la puce dans le cerveau, cette fiction imagine que les salariés de Lumon Industries dissocient leur personnalité professionnelle de leur personnalité privée. Quand ils travaillent, ils n’ont aucune idée de qui ils sont hors de l’entreprise. Quand ils vivent le reste de leur vie, ils ne se souviennent pas de ce qu’ils font lorsqu’ils travaillent. Entre comédie et thriller, «Severance» ménage d’excellents rebondissements et un cliffhanger de fin de saison insoutenable. Et il n’y a que la lenteur de ses trois premiers épisodes qui l’empêche de prendre la première place de ce classement.
À voir sur AppleTV+
The Bear (Disney+)
Choisir, c’est renoncer. Et choisir la meilleure série de l’année est toujours difficile. Mais «The Bear» est un bijou comme on en voit peu. Les huit épisodes de cette fiction plongent dans les coulisses d’une sandwicherie de Chicago, reprise par un jeune chef, Carmy, après la mort brutale de son frère. Lui qui est plus habitué aux cuisines reluisantes des grands restaurants doit composer avec une équipe qu’il ne connaît pas, des casseroles mal rangées, des finances pas très équilibrées et un deuil terrible. En apparence, il ne se passe pas grand-chose ici, sinon la vie entière qui défile et la palette incroyablement vaste des sentiments. C’est déjà énorme, c’est souvent magnifique, et ça se paie le luxe de donner très faim.
À voir sur Disney+