Que se passerait-il si «True Detective» rencontrait le film «Interstellar»? Nous avons peut-être un élément de réponse avec «Infiniti», dernière création originale de la chaîne française Canal+. En six épisodes, cette mini-série (qui se tient donc en une seule saison et n’aura pas de suite) laisse se déployer une enquête policière passionnante avec, en toile de fond, le centre de lancement spatial de Baïkonour et les dernières heures de l’ISS, station spatiale internationale destinée à être démantelée. Le résultat est tout simplement virtuose.
Au départ, il y a en réalité deux mystères. D’abord, celui d’un accident à bord de l’ISS. Alors que Baïkonour envoie un cargo de ravitaillement se raccorder à la station, celle-ci change brusquement de trajectoire et finit percutée par le cargo. Son équipage ne répond plus. Que s’est-il passé? S’agit-il d’une action de sabotage? Les astronautes à bord sont-ils toujours vivants? Rapidement, Anna Zarathi, spationaute française qui aurait dû se retrouver à bord mais a été remplacée à la dernière minute à cause d’une crise de panique, est appelée à la rescousse.
Le second mystère, lui, a lieu sur Terre. Dans les vastes plaines kazakhs qui entourent le cosmodrome de Baïkonour, Isaak, un policier opiniâtre, tombe sur plusieurs corps décapités et couverts de cire. Rapidement, il découvre qu’il pourrait bien s’agir de cosmonautes étrangers. Plus étrange encore: de ceux qui étaient censés se trouver dans l’ISS au moment de l’accident…
Entre science et mysticisme
Réunis par des circonstances qu’on ne révèlera pas, Isaak et Anna forment bientôt un duo improbable en quête de vérité. Lui, meurtri par un drame passé, poursuit sa lutte contre la corruption policière avec méthode et rigueur -coïncidence du casting, l’excellent acteur kazakh Daniyar Alshinov s’est fait connaître dans un rôle de flic similaire pour le film «A dark, dark man». Anna, jouée par la toujours impeccable actrice française Céline Sallette, souffre au contraire d’une paraphrénie qui provoque des hallucinations visuelles et auditives, et fait désormais plus confiance à son instinct qu’à sa rationalité.
Via ces deux personnages que tout oppose, les créateurs de la série, Stéphane Pannetier et Julien Vanlerenberghe, interrogent d’abord et avant tout les fondements de l’humanité et le lien, parfois contradictoire, parfois complémentaire, entre la science et la croyance. Nimbée de mysticisme, «Infiniti» atteint l’objectif que toute (bonne) science-fiction devrait avoir: prendre pour prétexte un horizon lointain (ici, la conquête spatiale) pour parler de désirs et d’émotions bien plus proches, comme le manque et la peur de la mort.
Du film noir au western
La première grande réussite d’«Infiniti» est d’assumer cette ambition métaphysique en l’habillant du meilleur des divertissements. La série jongle entre les genres avec une facilité déconcertante. Les références au film noir et au polar poisseux se mêlent à celles du film d’espace, avec cette impressionnante scène d’ouverture en apesanteur et les multiples séquences de salles de contrôle sur Terre. Ajoutons-y de parfaits moments d’actions (une tuerie dans le noir au moment d’une coupure d’électricité), un soupçon de western contemporain et un zeste de drame: voici la recette parfaitement équilibrée de la distraction intelligente.
Car la série s’est aussi donné les moyens de ses ambitions narratives. Tournée notamment dans les vastes plaines kazakhs, elle sait tirer le meilleur de ces paysages balayés par le vent, tout de poussière et de lumière froide. Ces étendues désertiques contrastent avec l’intérieur du cosmodrome de Baïkonour, reste d’architecture soviétique stylisée pour l’occasion (on pense forcément à «2001, Odyssée de l’espace»).
Une portée géopolitique insoupçonnée
Le choix du décor s’est pourtant fait par défaut. Au départ, les créateurs de la série voulaient opter pour la base de lancement de Kourou, en Guyane. D’autres fictions étant à ce moment-là en développement dans la jungle guyanaise, ils se sont finalement rabattus sur le Kazakhstan. Ce qui donne à «Infiniti», par un heureux hasard, une portée géopolitique insoupçonnée. Alors que l’offensive russe se poursuit en ce moment en Ukraine, la série mentionne ainsi les velléités expansionnistes d’un empire sur le déclin, toujours prompt à annexer ses voisins. «Si on ne dit rien, ils se croient toujours en URSS», lâche Isaak, fier Kazakhstanais, dans le deuxième épisode.
En imaginant les derniers instants de l’ISS, qui doit normalement être démantelée après 2024, «Infiniti» raconte aussi, en creux, l’effacement des États au profit des compagnies privées. Une perspective bien réelle, puisque la NASA fait actuellement appel aux entreprises de Jeff Bezos ou Elon Musk pour ses prochaines missions lunaires. Sous ses airs de polar cosmique, la série touche alors du doigt l’effondrement des derniers repères du monde contemporain.