C’est le journal anglais «The Sun» qui a fait le calcul. La série irlandaise «Normal People», sortie en 2020, compte 41 minutes de sexe tout au long de ses 12 épisodes, soit très précisément 12% du temps total du programme. Mais plus que la durée, c’est bien la qualité de ces scènes qui a marqué les esprits il y a deux ans. Rarement avait-on vu des moments érotiques aussi réalistes dans une série, à la fois crus et doux, à même d’éveiller tous les sens même en mettant en scène un consentement explicite. Une réussite totale, liée bien sûr à un casting aussi parfait que l’écriture, des choix de montage judicieux mais, aussi, des conditions de tournage très particulières.
Car depuis quelques années, le petit écran a pris un virage serré dans sa manière de filmer la sexualité. De nombreux stratagèmes ont été mis en place pour s’assurer tout à la fois de l’efficacité des scènes excitantes et du confort des comédiens et comédiennes. Il y a, bien sûr, les accessoires utilisés pour éviter la nudité totale. Ceux-ci ne datent pas d’hier: le scotch couleur chair apposé sur les parties intimes féminines a longtemps été l’allié des actrices… du moins jusqu’à ce qu’il faille l’enlever en serrant les dents de douleur parce qu’il est très adhésif.
Coussins et glace vanille
On a donc inventé beaucoup mieux. Sur le tournage des «Chroniques de Bridgerton», série qui montre énormément de parties de jambes en l’air au début du XIXe siècle, de petits coussins plus ou moins gonflés ont été utilisés afin de donner l’illusion d’un mouvement alors même que l’acteur et l’actrice ne se touchent pas. «C’est incroyable de voir comment cette industrie vient de se développer, en seulement un an», observait récemment le comédien Jonathan Bailey, qui interprète Anthony Bridgerton dans la série, auprès du magazine «Radio Times».
Pendant longtemps, les acteurs ont dû se débrouiller seuls pour que ces tournages soient les moins pénibles possible. Certains ont trouvé leurs propres astuces. Le premier épisode de la saison 4 de «Girls» réserve une scène d'anulingus qui, diffusée en prime-time aux États-Unis en 2015, a perturbé plus d’un téléspectateur. Pour la préparer, l’actrice Allison Williams avait scotché une serviette hygiénique en bas de ses reins, afin de couvrir ses parties intimes et d’offrir à son partenaire masculin un repère où poser son front. Assez stressée avant que la caméra s’allume, la comédienne s’était également recouverte de crème glacée à la vanille afin que ce soit agréablement parfumé, comme elle l’a raconté au magazine «Vulture».
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«Ça pouvait être le foutoir»
Tout est bon pour dédramatiser, y compris du côté des hommes, qui portent généralement une ravissante chaussette couvrant leur pénis pendant les ébats filmés. Dans «Game of Thrones», Jason Momoa interprète Khal Drogo, le mari de Daenerys, et le scénario lui réserve de nombreuses scènes érotiques avec sa partenaire, Emilia Clarke. Cette dernière a raconté à la télévision américaine avoir attrapé un fou rire en voyant qu’il portait une chaussette rose et molletonnée, au lieu du tissu beige habituel. De quoi détendre un peu l’atmosphère avant de filmer ce qui n’était d’ailleurs même pas une scène de sexe, mais bel et bien un viol.
Force est de constater que, souvent, cela ne se passait pas si bien. Gemma Whelan, autre actrice de «Game of Thrones», s’est plainte auprès du «Guardian» de la non-préparation des scènes érotiques de la série. «On nous disait seulement: ‘Quand on crie action, lâchez-vous’ et ça pouvait être le foutoir.» L’interprète de Yara Greyjoy insistait alors sur le manque d’encadrement: «Il y avait une scène dans un bordel, avec une femme tellement exposée que nous avons parlé ensemble du placement de la caméra pour savoir si cela lui convenait. Un réalisateur pouvait dire: ‘mords-lui un peu les seins, puis mets-lui une fessée, c’est parti!’ mais j’en parlais toujours avec mon ou ma partenaire d’abord.»
Une actrice ivre sur le plateau
Kristin Davis, inoubliable Charlotte dans «Sex and the City», avait elle aussi parlé de scènes très difficiles à tourner sur le plateau de l’émission américaine «Watch What Happens Live». «Il y en a eu une pendant laquelle je couchais avec un homme qui devait me crier ‘Salope! Pute!’ au visage. J’ai vraiment, vraiment détesté faire ça.» Lizzy Caplan, actrice de la série «True Blood», a quant à elle avoué des années après qu’elle était si mal à l’aise à l’idée de jouer sa première scène torride qu’elle avait descendu une bouteille de vodka et était arrivée complètement ivre sur le plateau.
Le premier épisode de «True Blood» est sorti en 2008. Quatorze ans plus tard, une telle situation est devenue inadmissible. #MeToo et les mouvements féministes sont passés par là et une bascule s’est clairement faite après 2017. En témoigne la série «The Deuce», qui raconte les coulisses de l’industrie du porno dans les années 1970. Logiquement, vu le sujet, les scènes de nu y sont nombreuses. Pour la deuxième saison, tournée juste après #MeToo, l’actrice Emily Meade réclame de gros changements. «J’ai réalisé que je n’allais pas bien, a-t-elle raconté à ‘Vogue’. Jouer une prostituée qui devient une star du porno, avec très peu de préparation chaque semaine puisque c’est comme ça que cela fonctionne en télévision, me rendait très anxieuse.» D’autant que son partenaire à l’écran, James Franco, est à l’époque sous le coup d’accusations d’agressions sexuelles.
L’ascension des coordinatrices d’intimité
Emily Meade impose alors la présence de ce qu’on appelle une coordinatrice d’intimité. La sienne s’appelle Alicia Rodis, et est également danseuse et cascadeuse. Dans les colonnes de «Vogue», la spécialiste note d’ailleurs que les cascades sont beaucoup plus encadrées que les scènes de sexe. Sur le tournage de «The Deuce», elle fait donc en sorte que tout se passe bien. Cela peut passer par une simple discussion avec les comédiens, par la répétition de la chorégraphie d’une scène érotique, mais aussi par un accompagnement plus large avec de la méditation, du yoga, voire des séances de psychothérapie.
L’expérience est si concluante que la chaîne HBO, qui produit «The Deuce», impose fin 2018 la présence d’une coordinatrice d’intimité sur chaque série. Cette pratique s’est depuis popularisée. Pour le tournage de la sixième saison d’«Outlander», autre programme connu pour son nombre impressionnant de scènes à caractère sexuel, l’acteur Sam Heughan a réclamé la présence d’une professionnelle. Ita O’Brien, actrice, réalisatrice et chorégraphe, est également devenue l’une des coordinatrices d’intimité les plus en vue en travaillant sur «Sex Education», puis «Normal People». Pour la première de ces séries, elle a notamment veillé à limiter le nombre de personnes présentes sur le tournage des séquences torrides, voire à en exclure les hommes ou les femmes, selon les demandes des acteurs et actrices qui devaient jouer du sexe gay ou lesbien.
Le travail d’une coordinatrice d’intimité comporte lui aussi son lot d’anecdotes improbables. Pour «Sex Education», Ita O’Brien a montré aux comédiens des vidéos d’accouplements d’animaux, afin qu’ils puissent imiter, selon leur personnage, le rythme de respiration d’un chien en pleine action, celui d’un gorille… ou celui d’un éléphant de mer. L’humour reste, encore et toujours, un élément décisif sur le tournage des scènes érotiques de séries.