Les séries médicales ont fait leur mue. Longtemps, à l’image d’«Urgences» ou «Grey’s Anatomy», elles ont été très populaires et concentrées sur le spectacle offert par des opérations à cœur ouvert improbables, le casse-tête de situations médicales rarissimes et les amours des praticiens en salle de repos. Ce qui ne les a pas empêchées d'œuvrer pour de meilleures représentations: un personnage récurrent séropositif apparaissait dès 1995 dans «Urgences» et des personnages lesbiens et issus de la diversité ont eu une large place dans «Grey’s». Mais depuis quelques années, c’est la mélancolie qui a infiltré les blocs opératoires. Dans la série française «Hippocrate», comme dans l’Italienne «Doc», des service hospitaliers structurellement dysfonctionnels débordaient, poussant le personnel soignant au bord du burn-out. «This is going to hurt», pépite britannique disponible sur Canal+ dès le 31 mars, s’inscrit dans la droite ligne de ces programmes-là.
Le médecin britannique Adam Kay s’est chargé lui-même d’adapter ses propres mémoires du même nom. La série suit donc son double de fiction, incarné par Ben Whishaw -le «Q» un peu geek des derniers «James Bond»- dans le service surchargé d’un hôpital public londonien. Entre deux césariennes et une torsion ovarienne, Adam martyrise son interne, Shruti, filtre les appels de sa mère psychorigide et fait semblant de croire aux bobards de patientes «tombées par hasard» sur divers objets désormais coincés dans leur vagin.
L’hôpital au bord du gouffre
La série fait le choix d’un rythme effréné et d’un humour frontal. Adam brise régulièrement le quatrième mur pour faire profiter le spectateur de ses blagues d’un goût parfois douteux, le rire étant ici bien souvent la seule manière d’échapper à la difficulté du quotidien. Car sous ses airs de comédie, «This is going to hurt» n’hésite justement pas à faire mal et prend des allures très politiques. Quotidiennement aspergé de fluides divers, de sang et de morceaux de placenta, Adam voit ses blouses médicales rationnées. Le chef du service ne cesse de lui demander de libérer des lits, les médecins malades ne sont jamais remplacés, les gardes s’éternisent et il faut trois semaines pour réparer une alarme défaillante. Le malaise hospitalier se dessine peu à peu, laissant Adam en larmes dans les vestiaires.
À lire aussi
«This is going to hurt» prend également à bras le corps le problème de la formation à l’hôpital. Là où beaucoup d’autres séries ont tourné en dérision la concurrence féroce entre les internes et mis en scène des jeunes perpétuellement excités à l’idée d’être jetés dans le grand bain des opérations compliquées, celle-ci expose leur mal-être, leur besoin d’être rassuré et, surtout, l’incapacité de leurs supérieurs, par manque de temps ou d’envie, à répondre à ces angoisses. Sans jamais tomber dans le manichéisme, car il y a toujours une situation comique pour désamorcer le pathos, Adam Kay interroge cette culture d’apprentissage à la dure qui, certes, forme des médecins capables de tout endurer, mais laisse aussi sur le bord de la route des gens qui auraient pu, dans d’autres conditions, être les meilleurs praticiens.
Un portrait sensible
Le personnage d’Adam dans la série n’échappe pas à la règle et agit en petit tyran dans son service. C’est d’ailleurs l’une des grandes forces de «This is going to hurt»: ne pas grandir son héros pour en faire la victime d’un système qui le dépasserait. Lui aussi participe activement aux dysfonctionnements chroniques de cet hôpital, en même temps qu’il délaisse sa vie personnelle et son compagnon, Harry. L'œuvre d’Adam Kay mêle très intelligemment son propos politique au portrait intime de ce médecin dévoué mais mal dans ses baskets, qui ne parvient pas à faire son coming-out auprès de ses proches. Ben Whishaw endosse le rôle principal avec une immense délicatesse, portant de bout en bout cette série aussi réjouissante que poignante.