À l’heure où leur production devient exponentielle, les séries dont on attendait beaucoup et qui se révèlent finalement décevantes sont légion. Très peu, en revanche, parviennent à vous prendre par surprise alors que le projet semblait risqué sur le papier. «En thérapie» vient de confirmer, avec sa deuxième saison tout juste sortie sur Arte.tv (et diffusée à la télévision à partir de jeudi 7 avril) qu’elle appartient bel et bien à la seconde catégorie. Il s’agit pourtant du remake français d’un carton israélien, «BeTipul», déjà adapté dans une vingtaine de pays, dont une version américaine très réussie. Première raison de douter.
La deuxième: la série compte 35 épisodes de 20 minutes, alors que le temps de chacun est compté. Enfin, toute l’histoire consiste à suivre, quasi en temps réel, des séances de psychothérapie dans le cabinet d’un professionnel, le docteur Dayan. Quatre patients reviennent en boucle et le praticien lui-même va ensuite consulter sa «superviseuse». On parle beaucoup, on invoque Jacques Lacan régulièrement et on ne sort quasiment jamais des quatre murs d’un cabinet: il y a là, sur le papier, matière à s’ennuyer. Et pourtant... «En thérapie» est un petit bijou qui vous attrape sans crier gare, se déguste épisode après épisode sans binge-watching mais sans lassitude non plus, et vous laissera, au bout de plus de 11 heures, en manque de ses personnages, mais pas sans questionnements existentiels.
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Authentique, sincère et addictif
Le tour de force de la série est d’arriver à atteindre l’universalité via des trajectoires individuelles très particulières. En l’occurrence, pour cette deuxième saison, celle d’Inès, avocate quadragénaire sans enfant ni mari, qui se demande si elle n’a pas déçu ses parents et raté sa vie; celle de Robin, préadolescent «en burn-out», fils du couple dysfonctionnel que le docteur Dayan conseillait dans la première saison; celle de Lydia, 22 ans, atteinte d’une maladie grave; celle d’Alain, chef d’entreprise rattrapé par ses démons; et enfin celle de Dayan lui-même, obligé de retrouver une psychanalyste, alors qu’il est attaqué en justice par la famille de l’un de ses anciens patients décédé.
Tout ce petit monde rappelle ce que disait Léon Tolstoï des familles dans «Anna Karénine»: les heureuses se ressemblent, les malheureuses le sont chacune à leur façon. Ici, chacun fait bien ce qu’il peut avec sa peine, la dissimule sous l’humour ou l’agressivité, la balance sans prendre de gants à la tête du docteur Dayan ou, au contraire, la retient longtemps avant de craquer. On parle du rapport à la mort, à la vie, aux autres, de façon si authentique et sincère que cela en devient addictif.
La série doit tout à ses comédiens
Surtout, les déboires intimes des personnages permettent peu à peu de brosser le portrait d’une société toute entière. Dans la première saison (disponible sur Arte mais également désormais sur Disney+), la toile de fond était celle des attentats de 2015, à Paris. Cette fois, nous sommes au printemps 2020, après la première vague de Covid-19 qui a laissé certains esseulés ou complètement flippés, à l’image du jeune Robin qui n’en dort plus et ne cesse de se tartiner de gel hydroalcoolique. C’est en arrivant à mettre les petits traumas dans les grands qu’une fois encore, «En thérapie» touche juste, et tout le monde.
La série doit beaucoup à ses réalisateurs et réalisatrices, tous issus du cinéma français, qui parviennent dans un cadre très contraint à imposer leur patte personnelle. On ne filme pas la détresse de la même façon selon qu’on s’appelle Agnès Jaoui, qui s’occupe des épisodes avec Inès, ou Emmanuelle Bercot, chargée de mettre en scène l’arc narratif d’Alain.
Mais «En thérapie» ne serait rien sans des acteurs et actrices au talent décuplé par l’écriture si fine de leurs dialogues. Le casting est un mélange de vieux briscards qui retrouvent tout leur éclat (Jacques Weber dans le rôle d’Alain), de jeunes prometteurs (éblouissante Suzanne Lindon en jeune femme confrontée à sa propre finitude) et d’habitués des seconds rôles qui prouvent ici qu’ils méritent les premiers. C’est le cas, notamment, de Frédéric Pierrot, toujours impressionnant en docteur Dayan tour à tour rassurant et aussi paumé que ses patients. L’acteur entretient une relation si forte avec son personnage qu’il donnerait envie de le faire exister. On rêve de s’allonger, nous aussi, sur son canapé rouge, pour parler de la fin du monde.