John Paul est mort. Ça, on le sait dès la première minute de la série «Bad Sisters», dont les 10 épisodes sont en cours de diffusion sur Apple TV+. L’homme gît dans son cercueil et sa femme, Grace, pleure sa disparition brutale. Avant de se rendre compte que le cadavre est en érection, ce qui est légèrement embarrassant. Le ton de cette comédie est donné, on rira bien plus qu’on ne pleurera du décès de John Paul, mari atroce, voisin odieux, père exécrable et, surtout, beau-frère insupportable. Car très vite, il semble qu’Eva, Ursula, Bibi et Becka Garvey, les quatre sœurs de Grace, ne soient pas totalement innocentes dans la disparition de celui qu’elles surnommaient entre elles «the prick» («le connard» en version française). Et si aucun membre de son entourage n’irait chercher la petite bête, tant le défunt n’est regretté par personne, ce n’est pas le cas des assureurs chargés d’indemniser sa veuve. Se rendant compte qu’ils ne pourront jamais payer une somme si importante, ils mettent tout en œuvre pour essayer de prouver que cette mort n’est pas accidentelle.
On retrouve dans ce remake de «Clan», une série flamande de 2011, tout le sel des créations de Sharon Horgan. Cette actrice et scénariste irlandaise a fait des comédies familiales sa spécialité. On lui doit notamment la formidable «Catastrophe», sortie en 2015 (et visible sur MyCanal), dans laquelle elle essayait de construire un couple avec un étranger dont elle tombait enceinte par accident. Elle était aussi la grande sœur d’une dépressive dans la non-moins formidable «This Way up» (également sur MyCanal). Dans «Bad sisters», qu’elle a écrite et coordonnée, la voici devenue Eva, toujours grande soeur un peu maternante, qui échafaude des plans farfelus pour venir à bout du monstre qui torture Grace.
Couple toxique et domination
Le suspense de la série ne tient pas vraiment à l’identité exacte de la tueuse, mais plutôt au mode opératoire. Au fil des épisodes, les plans des sœurs Gravey, du poison au paintball qui tourne mal en passant par l’incendie, se révèlent tous plus malchanceux les uns que les autres. L’urgence se fait pourtant sentir alors que Grace s’éteint chaque jour un peu plus sous les coups de boutoir de cet époux pervers et manipulateur, qui parvient à la convaincre qu’elle n’est bonne à rien et que tous les malheurs de leur couple lui incombent. Si la figure du grand méchant est indéniablement caricaturale, c’est bien l’objectif ici. Sharon Horgan a fait de John Paul un authentique vilain, cruel et stupide à la fois, qui maltraite absolument tout le monde à l’exception d’un patron dont il aimerait tirer une promotion.
Cette figure haïe est un excellent ressort comique, mais aussi un bon moyen d’explorer la toxicité potentielle du couple et les mécanismes de domination qui peuvent s’y exercer. On peut légitimement espérer que les John Paul ne courent pas les rues. Mais toutes ses ruses et ses tournures de phrases destinées à diminuer les femmes autour de lui, toutes ses crasses à répétition, illustrent bien les innombrables domaines dans lesquels s’exercent le patriarcat. Depuis l’intimité, via le «revenge porn» par exemple, jusqu’au monde du travail, John Paul sabotant savamment la candidature d’Eva, dont il est le collègue, à un poste plus élevé. Et rien, ni les femmes qui lui cèdent, comme Grace, ni celles qui lui résistent, à la manière d’Eva, ne le fait jamais douter.
Des personnages féminins délicieux
Face à lui, les cinq sœurs sont, elles, remarquablement bien écrites. C’est sûrement là que se niche d’ailleurs l’intérêt principal de «Bad sisters»: dans les caractères de ces femmes pas si mauvaises que cela, mais pas parfaites non plus, toutes terriblement attachantes et drôles, incarnation vivante et joyeuse de la sororité. Eva, devenue la cheffe de famille à disparition des parents mais meurtrie par son incapacité à avoir des enfants; Ursula, qui tente de sortir de la monotonie de sa vie; Bibi, dont la force de caractère ne se fissure qu’à l’idée qu’elle puisse être une mauvaise mère ou encore la virevoltante Becka, qui passe d’un amant à l’autre avec une facilité déconcertante.
Sharon Horgan a aussi le bon goût d’être revenue au bercail pour cette série enlevée. L’Irlande ne fournit pas que de beaux paysages côtiers et un accent délicieux dans la version originale de «Bad Sisters». C’est aussi un contexte supplémentaire pour comprendre la mainmise d’un John Paul qui se pare des atours du parfait catholique. «Bad sisters» montre aussi, en creux et sans cesser de sourire, que les femmes n’ont jamais le beau rôle dans un environnement conservateur qui ne leur est pas favorable.