Il y a les séries que l’on savoure sur des jours et des jours, sagement, pour bien en profiter. Et d’autres qui, au contraire, appellent le «binge-watching» et vous laissent constater, exsangue à 2 heures du matin, que cela fait dix fois que vous n’avez pas tenu votre promesse d’arrêter après le prochain épisode.
«Yellowjackets», disponible sur Canal+ à partir de jeudi 3 mars, appartient indéniablement à cette deuxième catégorie. Après avoir battu des records d’audience aux États-Unis, devenant le deuxième programme le plus regardé de toute l’histoire de la chaîne Showtime, la série s’apprête à conquérir l’Europe.
L'histoire de dix survivantes
Il faut dire que, sur le papier, elle a tout pour plaire. D’abord, une histoire intrigante comme on les aime tant. Les «Yellowjackets» du titre sont le surnom d’une équipe féminine de football universitaire qui, en 1996, semble favorite pour remporter le championnat national. Mais l’avion qui les emmène disputer la rencontre fatidique s’écrase dans une forêt et voilà une dizaine de jeunes survivantes obligées d’attendre les secours. Ces derniers mettront 19 mois à les retrouver.
Vingt-cinq ans plus tard, seules quatre d’entre elles, Shauna, Taissa, Natalie et Misty, sont encore là. Et elles n’ont, de toute évidence, jamais raconté la vérité sur ce qui s’était passé pendant ces 19 mois…
Retour à l'état de nature
La série est en réalité une (très) libre adaptation du roman «Sa Majesté des Mouches» de William Golding, qui imaginait le crash d’un avion rempli de jeunes garçons sur une île déserte. Les genres sont inversés mais le principe et le propos restent le même: que reste-t-il de la civilisation lorsque l’être humain, contraint et forcé, retourne à l’état de nature? Au départ, nos «Yellowjackets» recréent une société des plus classiques, où chacune a sa place, l’entraide est de mise et la survie un enjeu collectif. Mais très vite, alors que le froid et la faim menacent, les caractères se révèlent, les hiérarchies s’inversent et la loi du plus fort prend le dessus.
La principale qualité de «Yellowjackets» se trouve dans sa maîtrise des genres, qu’elle mêle avec habileté. Son premier épisode donne le ton: après une scène d’ouverture clairement horrifique, nous voilà plongés dans un «teen show» à l’ancienne, avec son lot de personnages archétypaux, du beau gosse à la rebelle gothique en passant par la première de la classe à lunettes. Celles et ceux qui ont grandi dans les années 1990 auront d’ailleurs plaisir à retrouver des hommages aux séries qui les ont bercés. Tout en images saccadées et guitares électriques énervées, le générique de «Yellowjackets» rappelle par exemple ceux de «Buffy» ou «Malcolm».
Dans le sillage de «Lost»
Puis, en faisant des aller-retour entre la période contemporaine et 1996, la série passe du thriller au survivalisme, jusqu’à lorgner clairement du côté du fantastique. Si les aventures de survivants d’un crash d’avion confrontés à des événements inexplicables vous rappellent quelque chose, c’est normal. «Yellowjackets» marche fièrement dans les traces d’une autre grande série, «Lost».
Comme dans l'œuvre de Damon Lindelof, on retrouve là une poignée de personnages forts, un jeu sur les lignes temporelles et, surtout, un programme qui a l’art de ménager ses effets. Les enchaînements, en fin d’épisode et en leur sein, de rebondissements et de cliffhangers insoutenables, vous laisseront tout à la fois épuisé et ravi de retrouver ce qui fait l’essence même du format sériel: avoir envie de regarder l’épisode suivant.
Du survivalisme à la santé mentale
Tout cela serait sûrement un peu brouillon si la série n’était pas aussi bien écrite. Au-delà des frissons et des sursauts, «Yellowjackets» raconte avec beaucoup de finesse ce qu’est un traumatisme. Chacune des protagonistes est affectée différemment par le drame vécu vingt-cinq ans plus tôt.
Shauna s’est enfermée dans une vie sage mais profondément insatisfaisante de mère de famille et épouse dévouée, Natalie enchaîne les cures de désintox, tandis que Misty laisse libre cours à des tendances légèrement sociopathes. Et même le seul exemple de franche réussite, celui de Taissa - a priori heureuse en couple et candidate pour devenir sénatrice - s’effrite rapidement lorsque le souvenir des événements remonte à la surface.
Un casting à la pointe
Il faut ici saluer l’ultime point fort de «Yellowjackets»: son impeccable casting. Les versions adolescentes et adultes des protagonistes sont non seulement physiquement très crédibles, mais les actrices ont en plus réussi à capter des expressions et des attitudes propres à chacune des héroïnes, nous faisant croire de la première à la dernière minute à leur passage de l’adolescence à l’âge adulte.
Juliette Lewis et Christina Ricci, qui ont illuminé dans leur jeunesse le cinéma des années 1990, côtoient Tawny Cypress et Melanie Lynksey, habituées des seconds rôles sur le petit écran qui trouvent là des personnages à la mesure de leur talent. À la fin des dix épisodes de «Yellowjackets», il ne reste finalement qu’un seul regret: qu’il faille encore attendre si longtemps la seconde saison, dont la sortie est prévue fin 2022.