Dans les années 1960, le contexte de la guerre froide et la démocratisation du petit écran ont permis l’essor d’un genre de feuilletons très populaire: les séries d’espionnage. Ce sont d’abord le chapeau melon de l’agent britannique John Steed, et les bottes de cuir de sa partenaire Emma Peel, qui enthousiasment les téléspectateurs. En 1966, l’inégalable générique de «Mission: impossible» est entendu pour la première fois aux États-Unis, sur la chaîne CBS. Depuis lors, cet engouement pour les séries d’espionnage ne s’est jamais démenti, preuve en est avec le classement des meilleures séries étrangères des années 2010 par le «New York Times», qui a consacré en première place «Le Bureau des Légendes».
Pour les amateurs et amatrices, Blick a sélectionné cinq séries d’espionnage fraîchement sorties ou moins connues qui valent le coup d’œil.
«Totems» (Prime Video)
La série la plus récente de notre sélection, en cours de diffusion sur Prime Video, est un retour aux sources. Soit l’histoire de Francis Mareuil, ingénieur français poussé bien malgré lui (au départ) à soutirer des informations à un autre scientifique russe, par l’intermédiaire de sa fille, Lyudmila Goloubeva. Mais cette dernière a déjà été recrutée contre son gré par le KGB…
En choisissant d’ancrer l’intrigue en 1965, les co-créateurs Juliette Soubrier et Olivier Pujols – qui a travaillé, notamment, à l’écriture du «Bureau des Légendes» — reviennent à l’essence même de l’espionnage, en pleine Guerre froide. Pas de téléphone portable ni de tracking GPS, ici on enregistre les conversations sur des bandes magnétiques et on s’épie les uns les autres par les trous de serrure, à l’ancienne. Cela confère à la série un charme suranné. Et si les multiples rebondissements et allers-retours entre Paris, Moscou, Berlin et l’Algérie se révèlent parfois difficiles à suivre, on apprécie la mise en scène soignée et les moyens mis dans la production.
«Babylon Berlin» (Canal+)
Berlin, 1929. La République de Weimar ne le sait pas encore, mais elle s’apprête à subir de plein fouet le krach boursier qui entraînera sa chute et l’avènement du IIIe Reich. Dans ce contexte, le commissaire Gereon Rath enquête sur l’arrivée d’un train en provenance de l’Union soviétique, avec à son bord un précieux chargement convoité aussi bien par les militants trotskistes que par les nationalistes.
«Babylon Berlin» est une série foisonnante, photographie léchée d’une époque souvent délaissée par la fiction allemande au profit de la Seconde Guerre mondiale. Cette immersion dans des clubs, des maisons closes et des quartiers insalubres permet de convoquer énormément de références, de l’expressionnisme de Fritz Lang aux films musicaux. Avec un budget de 40 millions de dollars – le plus élevé de l’histoire de la télévision en Allemagne – les créateurs ont pu se permettre un luxe de détails. Voilà un écrin magnifique pour un propos éminemment politique sur un moment charnière de l’histoire européenne.
«No Man’s Land» (Canal+)
L’excellente surprise de la fin d’année 2020. Coproduction franco-israélienne, «No Man’s Land» superpose un drame intimiste à la guerre en Syrie. On y suit le parcours d’Antoine, jeune Français sans histoire dont la vie bascule lorsqu’il croit reconnaître sa sœur, Anna, parmi des combattantes kurdes sur une vidéo. Mais Anna a été déclarée morte en Égypte deux ans plus tôt. Antoine part donc à la frontière turco-syrienne pour en avoir le cœur net. Parallèlement, trois jeunes Britanniques s’engagent du côté de l’État islamique. Et si ce bref résumé vous semble manquer d’espions, c’est parce que la série a encore bien des secrets à vous dévoiler…
La grande réussite de «No Man’s Land» est d’avoir su raconter un conflit éminemment complexe à hauteur d’hommes, et même plus précisément d’hommes occidentaux. Un parti pris plein d’humilité qui permet d’éviter les clichés et le manichéisme. Les personnages sont aussi finement écrits qu’interprétés, avec notamment un Félix Moati très convaincant dans le rôle d’Antoine et la toujours excellente Souheila Yacoub en combattante kurde déterminée.
«The Night Manager» (Prime Video)
Sur le papier déjà, cette série a tout pour plaire: un scénario adapté d’un grand maître du suspense, John Le Carré, un casting cinq étoiles au doux accent anglais (Tom Hiddleston, Olivia Coleman et l’inoubliable «Dr House», Hugh Laurie) et une réalisatrice douée, la Danoise Susanne Bier. Cette création met en scène le recrutement de Jonathan Pine, ancien soldat britannique désormais directeur de nuit dans un hôtel de luxe, pour enquêter et arrêter un dangereux trafiquant d’armes.
Le résultat est aussi angoissant que magnifique. La réalisation de Susanne Bier sait à la fois sublimer les décors de rêve dans lesquels évoluent les personnages – hôtels aux quatre coins du monde, île paradisiaque — et instiller une tension permanente, encore renforcée par le jeu terrifiant de Hugh Laurie. C’est bien simple, John Le Carré lui-même a qualifié cette adaptation produite par la BBC de «miracle tout à fait inespéré»!
«Fauda» (Netflix)
Cette série israélienne, dont le titre signifie «chaos» en arabe, est un modèle du genre. Nerveuse, redoutablement efficace, elle plonge dans le quotidien du Mista’arvim, une unité des forces spéciales israéliennes dont la spécialité est l’infiltration en territoire palestinien. Ses membres traquent «La Panthère», un terroriste membre du Hamas.
La série tire son redoutable réalisme et sa justesse d’écriture de l’expérience de ses deux créateurs, Lior Raz – qui joue également le rôle principal – et Avi Issacharoff, eux-mêmes anciens membres des forces spéciales de l’armée. Mais représenter de si près le conflit israélo-palestinien n’est pas sans risque. Si «Fauda» a longtemps été saluée de part et d’autres des checkpoints de la bande de Gaza car elle s’est attachée à représenter la population palestinienne, et remet clairement en cause une supposée supériorité morale d’Israël, elle est également critiquée pour renvoyer dos à dos les violences commises dans les deux camps. Reste qu’en termes de narration et de grand spectacle, la série est l’une des meilleures du genre.