La chronique de Quentin Mouron
Ces parents en guerre contre l’école

Les incidents se multiplient entre les écoles et de nébuleuses associations de parents, sur fond de fanatisme religieux et d’obsessions réactionnaires. Parfois, cela débouche sur des incendies. Une situation explosive qu’analyse notre chroniqueur.
Publié: 28.06.2024 à 12:58 heures
Que veulent ces parents, soi-disant inquiets, soi-disant outrés? Avoir leur mot à dire, mettre leur grain de sel, estime notre chroniqueur. (Image symbolique)
Photo: KEYSTONE
Quentin Mouron, écrivain

Le quotidien «La Liberté» rapporte qu’à Domdidier (Fribourg), des parents d’élèves sont mécontents de ce que leur crèche a organisé, en dehors des heures de présence des enfants, un évènement consacré au tatouage. Près de Zurich, c’est un professeur qui a été exclu par suite de la pression exercée par un «groupe de parents» envers la direction d’un établissement scolaire, en raison de l’homosexualité présumée d’un enseignant. En Belgique, on a carrément mis le feu à des écoles pour éviter que ne s’y donnent des cours d’éducation sexuelle. Ce sont peut-être ces considérations qui ont poussé le directeur du gymnase Auguste Piccard à suspendre un professeur soupçonné de s’être adonné à la pornographie en dehors de ses heures de cours (et ce, notons-le, sans la moindre protestation syndicale). Un peu partout essaiment de nébuleuses associations de parents, qui ressemblent à s’y méprendre à des associations de malfaiteurs.

Que peut faire aux parents que l’on ait tatoués des adultes dans une crèche après les heures d’ouverture? Est-ce que l’orientation sexuelle d’un professeur les regarde? Pourquoi ont-ils si peur que leurs garçons sachent enfiler une capote, ce qui aurait l’inestimable avantage d’éviter qu’ils se perpétuent imprudemment avec une athée, ou pire: avec une immigrée? Pourquoi sont-ils pris de terreur à l’idée que leurs filles leur échappent au point de décider avec qui, plus tard, elles voudront coucher? Et si leurs grosses venaient à s’interroger sur leur genre? Cette dernière interrogation est l’acmé de leur stupeur, le degré zéro à partir duquel s’enlève toute la structure – structure en forme de constellation, où sont reliés confusément la pornographie, les préservatifs, l’avortement, l’homosexualité, les tatouages et la pilule du lendemain. 

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«Sous le prétexte de protéger leur progéniture contre les démons du Temps, ils organisent en fait la protestation de tout leur être contre leur propre néant, en d’autres termes: ils font chier le monde parce qu’ils s’emmerdent»
Quentin Mouron
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Paranoïa et ennui

Que veulent ces parents, soi-disant inquiets, soi-disant outrés? Avoir leur mot à dire, mettre leur grain de sel. Sous le prétexte de protéger leur progéniture contre les démons du Temps, ils organisent en fait la protestation de tout leur être contre leur propre néant, en d’autres termes: ils font chier le monde parce qu’ils s’emmerdent. L’Ennui dont parle Baudelaire, et qu’il présente comme le plus pernicieux des démons, est à l’œuvre ici: que font ces pères, ces mères, sinon faire passer le temps et leurs nerfs sur le système scolaire, toujours suspect depuis qu’il est obligatoire et public (relire, dans Les Voyageurs de l’Impériale d’Aragon, les magnifiques diatribes de la vieille aristocrate ruinée contre l’école de la République substituée à la digne école catholique). 

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«Ce phénomène est lié à la paranoïa ambiante sur la prétendue théorie du genre et l’invasion des drags queen, totem de la réaction européenne assorti tantôt de versets, de psaumes ou de sourates»
Quentin Mouron
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Bien entendu, ce phénomène est lié à la paranoïa ambiante sur la prétendue théorie du genre et l’invasion des drags queen, totem de la réaction européenne assorti tantôt de versets, de psaumes ou de sourates. Mais il en va plus profondément encore de ce réflexe marchand qui emprunte à votre oncle tempêtant contre la redevance radio, affirmant qu’il «ne veut plus payer pour toutes ces conneries de gauchistes». 

En effet, le parent solidifié en association souhaite avant tout faire connaître son statut de client, donc de roi: il paie des impôts qui se transforment en salaires pour ces branleurs de profs et d’éducateurs, il est par conséquent fondé à mettre son nez dans les programmes, à hanter les salles de classe, à inspecter toutes les braguettes, à se prononcer sur l’alpha et l’oméga de l’éducation (surtout sur l’oméga, l’apocalypse n’est jamais loin de l’ennui). Il aime passionnément avoir rendez-vous en délégations avec le directeur, avec des médiateurs, il est fou de réseaux, si possible tard le soir et en présentiel. 

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«Mais le plus souvent, ils ne s’assemblent que pour former des groupuscules théologico-politiques réactionnaires, dont la visée unique est peu près celle-ci: maintenir leurs enfants dans la bêtise et l’ignorance crasse, quitte à brûler littéralement des écoles»
Quentin Mouron
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Déplorer le manque d'autorité tout en la détruisant

Parfois, les parents forment d’honorables associations s’efforçant de pallier le manque de moyens et de volonté politique, ils accompagnent les sorties scolaires, supervisent les devoirs, se réunissent à midi pour faire manger leurs enfants. Mais le plus souvent, ils ne s’assemblent que pour former des groupuscules théologico-politiques réactionnaires, dont la visée unique est peu près celle-ci: maintenir leurs enfants dans la bêtise et l’ignorance crasse, quitte à brûler littéralement des écoles... Le tout, bien entendu, en déplorant la disparition de l’autorité! Ils ne se lèvent même plus à l’entrée du proviseur que l’on vient d’insulter! Ils ne respectent plus leurs connards de profs! On se demande pourquoi. 

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