La chronique de Quentin Mouron
Jordan Bardella et la politique du pâté de campagne

Comme Chirac avant lui, Bardella pense peu et mange beaucoup. Une stratégie du vide et du ventre qui a payé dans les urnes, selon notre chroniqueur et écrivain Quentin Mouron.
Publié: 10.06.2024 à 14:37 heures
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Dernière mise à jour: 10.06.2024 à 15:09 heures
Jordan Bardella est le grand gagnant des élections européennes, avec environ 32%.
Photo: DUKAS
Quentin Mouron, écrivain

Sur le plateau de CNews, où on lui préfère nettement Eric Zemmour, on est au moins d’accord avec la gauche sur un point: Jordan Bardella est une coquille vide, un néant qui chante, pas même: qui gazouille.

De la culture? Ça ne l’intéresse pas, tranche un Pascal Praud à la fois impérial et goguenard. Des idées de droite? Pas vraiment, ou si peu: moins d’immigrés, moins de paperasse. Et quid de la grande histoire de France? Clovis, bordel, Clovis? Bardella se moque bien de Clovis et des idées de droite, on ne le surprendrait certes pas à feuilleter Maurras dans les WC.

Bardella inculte, mais beau

Pas assez cultivé pour les éditorialistes de CNews? Pour les nervis bourgeois de Reconquête comme pour les trotskistes cultivés? Pas grave. Car Bardella est beau. Tout à fait dans le genre large mâchoire, tatouage tribal à mi-mollets et levrette sauvage sur le capot d’une Subaru. Sourire matois, œil ennuyé, mais brillant, costumes un peu justes, Bardella magnétise plus qu’il ne convainc, il séduit, il envoûte. Son œuvre est celle d’un théurge, non d’un rhéteur ou d’un philosophe. Il s’agit avant tout de vigueur et d’efficacité. 

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«On ne vote jamais qu’avec sa tête, mais aussi et sûrement avec son ventre, avec ses tripes»
Quentin Mouron, écrivain
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Dans ce registre, les faiblesses sont des atouts. Pourquoi devrait-on s’emmerder plus longtemps avec des conneries d’intellos, je vous le demande? Est-ce que ce ne sont pas ces mêmes intellos qui ont ruiné la France? Hein?

Vide? Et alors? Incohérent? Et alors ? Qui veut un candidat substantiel et cohérent? Macron, d’ailleurs, est-il cohérent? Sarkozy était-il substantiel? Et ailleurs, en Europe? Les éditorialistes de CNews commettent au fond la même erreur de jugement que la gauche, qui affecte de penser que le vote récompense l’intelligence, la finesse d’esprit ou la puissance spéculative.

Du pâté, du terroir et des verres

Bardella gagne avec les mêmes ruses franches, si l’on nous permet l’oxymore, que Chirac avant lui: il pense peu mais il mange bien, il lève son verre haut, il raffole de produits du terroir, il est fou de terrines et de pâté en croûte. Comme l’écrivait Jacques Chessex à propos de Flaubert: «J’imagine qu’il devait beaucoup roter.»

La France? La République? Oui, tout cela à la fois. Bardella produit un jacobinisme de l’estomac. Le peuple est tout ce qui se mange et tout ce qui se boit. Et c’est qu’en effet les affects structurent le champ politique bien plus que toutes les sollicitations de l’entendement, qui est toujours solidement noué au corps et à la chair. On ne vote jamais qu’avec sa tête, mais aussi et sûrement avec son ventre, avec ses tripes – et c’est également avec cela qu’on peut se faire élire. 

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