Il faut toujours du courage pour se mettre en grève. Le courage de dire non. De s’arrêter malgré les injonctions, malgré les habitudes, malgré les règles établies — et qui sont, le plus souvent, à la faveur du plus fort. Mais il en faut sans doute un peu plus qu’ailleurs dans notre pays, si hostile à la révolte en général et à la grève en particulier.
Que l’on fréquente les bistrots ou la section commentaires des journaux en ligne, on doit se rendre à l’évidence: les Suisses n’aiment pas les grévistes, qu’ils soupçonnent toujours d’être un peu des tires-au-flancs, des assistés, des vendus, quand ils ne seraient pas tout simplement coupables d’être des agents de l’étranger, venus attenter à une morale du travail que l’on n’ose même dire «protestante», tant elle relève simplement de la soumission caricaturale à l’ordre établi.
Haine aveugle pour les «débrayage»
Pour une partie de nos compatriotes, le travail est non seulement une éthique, mais il est encore une métaphysique: de ce que l’homme, au contraire des animaux, travaille, on en déduit qu’il serait «né pour travailler» et, plus encore, qu’il serait né pour se tuer au travail.
Pour les tenants d’une telle philosophie, les vacances, les jours fériés et les dimanches ne sont que des moments de «répit» destinés à «recharger ses batterie» entre deux séquences de travail intensif. Corrélée à une culture du burn-out, cette métaphysique a comme principale conséquence politique une haine aveugle pour tout ce qui ressemble, de près ou de loin, à un «débrayage» ou à une baisse de la productivité.
Employés courageux face au monstre orange
Or, les employées et les employés du site Micarna à Ecublens, ont eu le courage de braver la défiance nationale et les sarcasmes quand, le jeudi 29 février, ils ont voté la décision de se mettre en grève, pour protester contre la fermeture définitive du site de cette filiale de la Migros, prévue pour le printemps 2025.
Face au monstre orange, des employées et des employés courageux, déterminés, se sont dressés. Ils ont dit non. Ils ont bravé les murmures désapprobateurs des philosophes de bistrots, bravé la colère des commentateurs des journaux en ligne. Ils ont attaqué le dogme de la productivité comme celui de l’homme «né» pour s’exterminer à la tâche.
Peu importe ce qu’ils seront parvenus à obtenir: ce soulèvement de David contre Goliath ne peut que mériter l’admiration. Je me sens, ce matin, plein de reconnaissance pour ces femmes et ces hommes. Et merde à la Migros!