La chronique de Quentin Mouron
Pourquoi les hooligans sont la vérité du football

Bannis des stades pour leur violence caricaturale, les hooligans ont pourtant, d’après notre chroniqueur, le mérite de démythifier le fair-play dans le sport.
Publié: 08.12.2023 à 09:19 heures
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Dernière mise à jour: 08.12.2023 à 11:55 heures
Pour notre chroniqueur, le hooliganisme est la traduction en langage claire de la brutalité des rapports socio-économiques dans le sport.
Photo: IMAGO/ZUMA Wire

Il semble impossible qu’un individu sain d’esprit regarde jusqu’au bout un match du Lausanne-Sport sans être ivre mort. Chaque dimanche, des familles convergent par centaines vers le stade de la Tuilière, où elles s’avinent sauvagement en mangeant des saucisses. Invariablement, quelques supporters franchissent le Rubicon de ce qui est admis en termes de soulographie, de brutalité et d’injures: ces quelques supporters, ce sont les hooligans. Alors, les familles éméchées écument: vraiment, ça va trop loin, ce n’est pas tolérable, ce n’est pas cela le sport, le fair-play, etc.

Cauchemars des familles honnêtes, les hooligans sont également la cible privilégiée des commentateurs sportifs, des éditorialistes et des rédacteurs en chef adjoint de la presse régionale, qui n’ont pas de mots suffisamment durs pour qualifier leur conduite. Les autorités n’en font jamais assez, la police est toujours trop permissive, les lois ne sont pas assez dures, les clubs ne jouent pas leur rôle, etc.

Que faut-il faire pour que chacun puisse profiter du spectacle en sécurité? Quel levier doit-on actionner pour que les commerçants n’aient pas à fermer leur boutique sur le tracé des ultras? Comment éviter que les trains suisses, déjà occupés le dimanche par des randonneurs en vêtements fluorescents, ne deviennent des terrains d’affrontements et de rixes?

Le fairplay, un mythe

Il y a dans la tête de n’importe quel chroniqueur local encore plus de techniques de coercitions et de mesures disciplinaires que Michel Foucault n’en a trouvé dans les prisons françaises. Modérés en d’autres circonstances, les éditorialistes se déchaînent dans leurs colonnes, et il semble que rien ne soit criminel comme de gâter la digestion des familles honnêtes venues roter leurs saucisses et célébrer la beauté du sport, c’est-à-dire le fairplay, la tolérance et la concorde – et tous ces autres mythes auxquels personne ne croit, puisque précisément, ils sont des mythes, c’est-à-dire des discours à valeur essentiellement poétique qui ne produisent jamais d’effets sur le monde réel. 

Car ce qui échappe aux commentateurs apitoyés, c’est que les hooligans ne sont pas quelque frise superfétatoire qui serait venue, disgracieusement, s’ajouter au très noble édifice du football. Comme il y a longtemps que l’esprit du sport a fusionné avec l’esprit du capitalisme, le hooliganisme est la traduction en langage claire de la brutalité des rapports socio-économiques, toujours un peu caché par les fumigènes de l’idéologie bourgeoise.

On ne les traque pas seulement comme des fauteurs de trouble. Non. Ce qu’on réprime surtout en eux, c’est un double mouvement: celui par lequel ils invalident le mythe du fair-play dans le sport, qui existe moins que jamais, et celui par lequel ils révèlent – jusqu’à la caricature – la brutalité des rapports humains. On comprend que les familles honnêtes aient l’appétit coupé!

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