La chronique de Quentin Mouron
Pourquoi les jeunes ne respectent-ils plus leurs «branleurs» de profs?

À Genève, les enseignants en grève ont été traité de tous les noms par ceux qui, pourtant, se plaignent le plus volontiers du recul de l’autorité. Plus qu’une contradiction, une idéologie, selon l'écrivain Quentin Mouron.
Publié: 02.02.2024 à 11:59 heures
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Dernière mise à jour: 05.04.2024 à 11:24 heures
Pour notre chroniqueur, ceux qui insultent les enseignants en grève sont les mêmes qui se plaignent de leur manque d'autorité.
Photo: KEYSTONE
Quentin Mouron, écrivain

Dans un entretien donné à la Tribune de Genève, daté du 3 février, la conseillère d’État genevoise Anne Hiltpold coche toutes les cases de la rhétorique autoritaire: je serai inflexible, les enseignants sont des preneurs d’otage, ils ne sont pas au-dessus des lois, etc. 

Deux jours plus tard, les enseignants du secondaire I du canton se mettent en grève pendant plusieurs jours, afin de protester contre une augmentation de leur temps de travail. Sur les réseaux sociaux, et particulièrement dans l’espace commentaires des médias en ligne, c’est la curée, c’est l’halali: on retrouve le «preneur d’otage» de la ministre, on ajoute fainéants, branleurs, etc.

Critiques en contradictions

C’est un fait national: les grévistes, quoi qu’ils réclament, sont toujours suspectés d’être des tire-au-flanc, des profiteurs, des agents provocateurs, peut-être même des Français! Qu’ils soient infirmiers, maçons ou enseignants, peu importe: arrêter de travailler est perçu comme la forme terminale de l’asociabilité et de la sédition. Et peu importe qu’ils finissent par suspendre leur grève: deux heures ou deux mois, c’est du pareil au même, la géhenne, les piques, les grills, etc.

Pourtant, parmi ceux qui vouent les profs aux gémonies, qui les traitent de tous les noms, qui n’expliquent leur grève que par un indécrottable atavisme soviétique et une propension biologique à la paresse, parmi ceux-là, dis-je, ne trouve-t-on pas également tous ceux qui déplorent la disparition prétendue de l’autorité, le fait soi-disant avéré que les enfants ne respectent plus l’institution scolaire en général et les enseignants en particulier? Ces gens espèrent-ils vraiment que leurs gosses vont respecter des enseignants qu’ils traitent eux-mêmes de preneurs d’otage et de branleurs?

De l'autorité, mais pour les autres

Non, bien entendu. Car ceux qui réclament plus d’autorité à l’école ne la veulent que pour les autres enfants – surtout si ces autres enfants sont pauvres et immigrés – et non pour les leurs, sortis directement de la cuisse de Jupiter, toujours justifiés par avance, excusés par avance, élus par leur naissance. Mon enfant? Une victime collatérale du laxisme général, un innocent qui imite les copains. La discipline et l’autorité, c’est comme les impôts, on aimerait que ça n’existe que pour les autres. Alors on fraude avec l’autorité et on crache sur les grévistes, en espérant que, demain, ils inculquent un hypothétique «sens de la discipline» à tous ces sales gosses que la prunelle de nos yeux est forcée de fréquenter.

Nous voilà au cœur du problème : on aimerait que les enfants parlent grec, latin, aient un excellent niveau de grammaire et de mathématiques, qu’ils excellent en histoire, qu’ils fassent montre de sens civique, qu’ils récitent des poèmes, qu’ils sachent hurler le nom de chaque montagne, de chaque cours d’eau, mais on méprise celles et ceux dont le métier est de le leur apprendre, pire: on aimerait que leur travail soit sinon gratuit, du moins low-cost, discount. Or, la réalité est têtue: l’éducation, c’est comme la cocaïne, il faut mettre le prix si on veut qu’elle soit bonne.

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