Edouard Philippe s’est (peut-être) lourdement trompé. L’ancien Premier ministre français, candidat presque déclaré à la présidentielle de mai 2027, a estimé dans un entretien à TF1 qu’Emmanuel Macron a «tué sa majorité». Erreur. C’est l’Assemblée nationale que le président de la République est en train de tuer, avec sa dissolution anticipée décidée à la hâte au soir du 9 juin, après la nette défaite de son camp aux élections européennes. Une Assemblée dont il pourrait bien décider de se passer à l’issue des élections législatives des 30 juin et 7 juillet.
Ce scénario serait celui d’un coup d’État démocratique. Il ne s’agirait pas d’un putsch. Et encore moins, comme on peut quelquefois le lire sur les réseaux sociaux, d’un recours à l’article 16 de la constitution qui, activé en cas de crise, donne les pleins pouvoirs au Chef de l’État élu au suffrage universel. Rien de tout ça.
Emmanuel Macron pourrait juste, face à une Assemblée nationale divisée en trois blocs (celui du Rassemblement national, son bloc centriste et le nouveau Front populaire), décider de mettre en sommeil l’activité du parlement. En proposant une trêve législative, en s’engageant à ne proposer aucune réforme dans les deux ans à venir, et en ne soumettant au parlement qu’un seul projet de loi par an: l’indispensable loi de finances, c’est-à-dire le budget de l’État.
Imaginez le scénario. Il est simple.
Acte 1: les 49,5 millions d’électeurs français (du moins ceux qui se seront déplacés pour voter) n’accordent la majorité absolue ou même relative à aucune formation politique. Les élections législatives s’achèveraient donc sur un match nul, avec 577 députés répartis plus ou moins à parts égales entre les trois blocs.
Ne pas se retrouver otage
Acte 2: Emmanuel Macron, qui ne peut pas dissoudre l’Assemblée tout juste élue pendant un an, et qui n’entend pas démissionner avant l’échéance de son second mandat, constate l’absence de majorité et refuse de tenter l’expérience d’un gouvernement minoritaire. Avec un argument massue: la France ne peut pas, en ces temps de crise aiguë, se retrouver otage d’un groupe de parlementaires, aussi représentatif soit-il.
Acte 3: le président propose à la nation un donnant-donnant. L’Assemblée pourra, comme la Constitution lui en donne le droit, proposer des textes législatifs et exercer son pouvoir de contrôle sur l’exécutif. Elle pourra initier des commissions d’enquête. Le gouvernement, en revanche, ne présentera aucun projet de loi, à l’exception du projet de loi de finances à l’automne. Lequel, s’il le faut, pourra être adopté sans vote grâce au fameux article 49.3.
Acte 4: le locataire de l’Élysée propose aux chefs de partis plusieurs noms de hauts fonctionnaires ou de personnalités pour diriger le pays, et il s’engage en retour à ne pas dissoudre l’Assemblée avant l’expiration de son mandat. Le Premier ministre serait issu de cette liste.
Pourquoi, par exemple, ne pas confier les rênes au président de la Cour des comptes, l’ancien ministre socialiste des Finances Pierre Moscovici, avec pour mot d’ordre le redressement indispensable des finances publiques? Chaque parti pourrait, s’il le souhaite, proposer des noms pour un gouvernement réduit à 15 ministres. Côté pile, il s’agirait d’un cabinet technique. Côté face, d’une forme d'union nationale de transition.
Ce coup d’État démocratique n’enlèverait aucune prérogative au Parlement, composée de l’Assemblée tout juste élue et du Sénat, contrôlé par la droite traditionnelle. Une motion de censure contre le gouvernement serait donc toujours possible. Le président n’exclurait pas non plus de démissionner en cas de crise ouverte. Chacun, en somme, camperait sur ses positions et se préparerait pour la prochaine bataille électorale, à savoir l’élection présidentielle de 2027. Avec un avantage pour le futur chef de l’État élu: pouvoir dissoudre l’Assemblée dans la foulée et obtenir, alors, une majorité.
Une France fracturée
Sur la scène internationale, la France ressortirait de cet épisode de la dissolution à la fois fracturée (tout le monde le sait) et stable (ce que tout le monde espère). Le budget voté, objet de négociations parlementaires, permettrait de répondre aux questions urgentes: défense, consolidation des services publics prioritaires, économies indispensables d’environ 20 milliards d’euros à trouver pour 2025.
Le pays ne serait pas dirigé par un gouvernement de seuls techniciens. Il se mettrait en position de répondre aux exigences budgétaires de la Commission européenne, qui vient d’ouvrir le 19 juin une procédure contre la France pour déficit excessif. L’Allemagne serait rassurée. La voix de la France ne serait pas noyée dans le brouhaha des crises à répétition. Il s’agirait d’une pause démocratique et législative, dans un pays de toute façon connu pour voter trop de lois, souvent mal appliquées, voire inapplicables.
Ce scénario n’est bien sûr pas possible à défendre en période de campagne électorale. Mais à bien y réfléchir, il fait sens. Peut-être même qu’Emmanuel Macron l’avait en tête depuis le début, lui qui n’a toujours pas compris, en sept ans, comment apprivoiser et calmer ce peuple de «Gaulois réfractaires» qui l’a élu deux fois et s’est mis à le détester. En même temps.