L’exercice n’est pas seulement éditorial. Il est psychologique, littéraire, éminemment politique. Comment raconter Jean-Luc Mélenchon sans tomber dans l’excès, tant la personnalité du leader de La France insoumise (Gauche radicale) est excessive? Il fallait donc trouver un chemin d’accès pour permettre au lecteur d’explorer les deux faces de l’Everest Mélenchon. D’un côté, le tribun cultivé, amer, mais lucide sur l’état du pays. De l’autre, le révolutionnaire fanatique, pour qui seul compte le rapport de force, clé de voûte de l’action politique.
Je ne connais pas le degré d’intimité entre Christophe Barbier et le fondateur de LFI. «Moi, Jean-Luc M…» (Ed. Grasset), le petit livre que l’éditorialiste de BFM TV vient de publier, laisse entendre que les deux hommes se connaissent bien. A moins que tout cela ne soit que fiction, comme l’est naturellement une pièce de théâtre. Laissons planer le doute. Car la force de ce court récit, en tout cas dans sa première partie, est de nous plonger dans la tête de ce tribun politique que les Français admirent et redoutent à la fois.
Au vitriol
«Foutez-moi la paix! Quand je veux, je décide! Quand je veux! Foutez-moi la paix! Ça vous emmerde que je sois là…» Ainsi démarre presque ce récit enlevé, dont la deuxième partie, plus journalistique, est un portrait politique au vitriol de Jean-Luc Mélenchon. Le tribun septuagénaire est seul dans sa maison secondaire du Loiret, à une centaine de kilomètres de Paris. Il tourne en rond. Il laisse le téléphone sonner. Il veut que ses interlocuteurs soient obligés de patienter.
Il rumine. Il fulmine, en particulier contre les médias. «Il y a trente ans, les journaux étaient dirigés par des intellectuels, aujourd’hui, ils sont tenus par des crétins. Des crétins bitumés jusqu’à l’os préfrontal. Et quand on en trouve un qui a deux sous de culture générale, il est d’extrême-droite.»
Nous y sommes: la première clé pour comprendre «Méluche» est de le voir comme le produit de sa génération. Celle du trotskisme. Celle des derniers espoirs sociaux. Celle qui ne supporte pas la mondialisation capitaliste parce qu’elle écrase tout sur son passage et ruine les idéologies.
Un combattant, un fauve
Jean-Luc Mélenchon n’est pas un homme politique ordinaire. Il est un combattant qui pourfend ses ennemis: «Les capitalistes, les banques, l’impérialisme, les médias.» Un fauve qui préférera toujours les animaux sauvages, féroces, aux bêtes domestiquées, couchées devant la cheminée de leurs maîtres. L’intérêt du livre de Christophe Barbier est qu’il nous permet de mieux comprendre pourquoi ce talent politique est mis au service d’une ambition si brutale, si dévoyée aussi parfois lorsque «Méluche» soutient les islamo-gauchistes des quartiers, ou couvre des propos antisémites de ses candidats.
Le fondateur de LFI, ancien apparatchik du parti socialiste qu’il quitta avec la farouche volonté de le détruire, a toujours voulu briser le système, puis le remplacer. Il n’est pas florentin, expert dans l’art d’intégrer les rouages du pouvoir puis de les mettre à son service, quelle que soit l’époque, comme le fut Mitterrand. Il est bolchevik dans l’âme. Il préférera toujours Robespierre à Voltaire. Le voici raconté lorsqu’il était élève au Lycée Rouget-de-l’Isle de Lons le Saunier, dans le Jura. «Je crée les circonstances et les circonstances me donnent vie. C’est ça, la politique», lui fait dire Christophe Barbier.
Talent politique
L’auteur est partagé. Il est évident qu’il admire le talent de Mélenchon. L’éditorialiste télévisé est un spécialiste des joutes feutrées sur les plateaux et sur petit écran. Il est impressionné par celui qui, sans vergogne, ose purger les rangs de son parti, se montrer brutal en récitant de grands auteurs, clamer sa colère en vers.
«Pour Mélenchon, tout part d’un calcul simple et cynique: la révolution a besoin d’un lumpenprolétariat pour dresser ses barricades», poursuit Christophe Barbier. Le journaliste ne pardonne pas le saut dans l’islamisme effectué par LFI. Il n’arrive surtout pas à comprendre comment le laïcard Mélenchon, pur produit de la République à l’ancienne, a pu jeter ses convictions aux orties pour se transformer en défenseur du cléricalisme islamiste le plus dangereux.
Hologramme littéraire
Il y a une faiblesse dans cet ouvrage. Sa première partie est trop enlevée, trop juste, trop bien écrite pour goûter complètement la seconde. Mélenchon par lui-même, raconté dans sa maison paisible du Gâtinais, apparaît devant nous comme lorsqu’il utilise ses hologrammes en meetings. Barbier a inventé l’hologramme littéraire!
La seconde partie est de facture plus classique. Mélenchon est coupable d’avoir détruit le centre gauche: et alors? Mélenchon est prêt au pire: et alors? L’auteur oublie trop vite que les électeurs français de gauche veulent l’Union, et que Mélenchon reste aux yeux de beaucoup d’entre eux comme celui qui a sauvé leur camp politique du désastre. Vivement le roman-vrai de l’Insoumis en chef raconté par Christophe Barbier. Pour les jugements politiques et journalistiques, allumez votre premier écran venu…
A lire: «Moi, Jean-Luc M...» par Christophe Barbier (Ed. Grasset)