Sa décision surprise de dissoudre l’Assemblée nationale, dans la foulée de sa défaite aux élections européennes dimanche 9 juin, n’a peut-être pas été prise dans ce salon. Mais c’est là, à coup sûr, qu’Emmanuel Macron et ses plus proches conseillers ont débattu, dans un cercle très restreint, de l’opportunité de jouer ce coup de poker politique qui vient de plonger la France dans une zone de turbulences.
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Une pièce mythique
Ce salon, c’est le Salon vert. Une pièce mythique, particulière, unique du palais présidentiel de l’Élysée. Une pièce réservée autrefois, lorsque l’Hôtel d’Evreux (le vrai nom de l’Élysée) était l’une des demeures parisiennes de l’Empereur Napoléon III, aux bals et aux réceptions de l’aristocratie. Aujourd'hui, l’endroit réservé est devenu celui de tous les secrets et de tous les conciliabules, avec ce qu’il faut de modernité sous le plancher: câbles, isolation phonique et écran vidéo. «L’endroit a été mis aux normes les plus récentes», expliquent Marie-Béatrice Baudet et David Gaillardon dans le livre qu’ils viennent de lui consacrer aux éditions Grasset. «Emmanuel Macron souhaitait pouvoir y organiser des visioconférences de qualité avec ses homologues étrangers. Toutes ces liaisons confidentielles devaient être sécurisées. Le vieux Salon vert a enfin épousé son temps».
Je n’ai pour ma part jamais visité le Salon vert. Je ne connais de l’Élysée, comme la plupart des journalistes qui ne sont pas des «visiteurs du soir», la grande salle des fêtes où sont organisés les réceptions et les dîners d’État, l’escalier du hall d’entrée, et les bureaux de quelques conseillers dont ceux chargés de la communication et de la presse. Or le Salon vert, c’est autre chose. C’est un «lieu du pouvoir», pour reprendre le titre d’un autre livre qui est son parfait complément, signé d’un collectif d’auteurs mené par Sébastien Le Fol, aux éditions Gallimard.
Les portes du bureau présidentiel
Les portes de ce Salon vert communiquent directement avec le bureau présidentiel. «Cette géographie politique fait irrémédiablement penser à la Maison-Blanche, dont l’aile ouest (The West Wing, titre d’une fameuse série télévisée) abrite le président des États-Unis et sa garde rapprochée. Pour faire simple: c’est autour de cette pièce qu’il faut être. C’est ici qu’il faut être convié par le chef de l’État à discuter de l’avenir de la France. Le Salon vert, c’est le tapis vert de la République. Où l’on joue au poker le destin démocratique des Français.
La singularité de ce livre consacré au Salon vert est qu’il ne se contente pas de chroniquer les décisions prises entrer ces murs. Les auteurs ont le bon goût de raconter son histoire propre, ses décorations, le soin apporté par le personnel à entretenir les horloges qui se sont succédées, et les rites qui vont avec cette pièce.
Décoré dans le style Louis XV
«D’une trentaine de mètres carrés, le Salon vert a été décoré dans le style Louis XV, selon les souhaits de l’impératrice Eugénie (l’épouse de Napoléon III). Ses doubles portes étouffent le bruit des conversations, le tic-tac de sa pendule rythme les réunions cruciales qui s’y tiennent, à l’abri des regards. Sur la table longtemps recouverte d’une feutrine verte, les dossiers brûlants de la République.»
L’on sait que la décision d’Emmanuel Macron de dissoudre l’Assemblée nationale, à la surprise générale, a été prise entre quelques personnes. Même le jeune Premier ministre Gabriel Attal, nommé le 9 janvier, n’avait pas été mis dans la confidence jusqu’en début de soirée. Il est donc acquis que le Salon vert connaissait par avance ce coup de théâtre. Lire ce livre, c’est imaginer comment ce coup de poker a été joué, en regardant le jardin de l’Élysée par les fenêtres. «L’Élysée, une cour d’école?», interrogent les auteurs en relatant tout ce qui s’est passé dans cette partie du palais présidentiel, au fil de ses locataires. Lesquels avaient, chacun, leurs habitudes, en termes d’ameublement, d’emplacement de leur bureau, mais aussi d’occupation ou non du Salon vert, un temps réservé aux conseillers proches du chef de l’État.
Le théâtre français
Le ton du récit et les informations données par «Les Lieux du pouvoir, une histoire secrète et intime de la politique», sont assez similaires. Les auteurs, tous familiers du théâtre français du pouvoir, ont l’intelligence de ne pas tomber dans l’accumulation d’anecdotes. Je vous recommande en particulier le chapitre consacré à Latche, la fameuse propriété landaise de François Mitterrand, où ce dernier aimait recevoir ses amis et quelques dirigeants, dont Helmut Kohl et Mikhaïl Gorbatchev.
Nous sommes là bien éloignés du Salon vert de l’Élysée. Le vert tout autour est celui des grands arbres, et de la forêt des Landes. Et pourtant: c’est entre ses murs que le pouvoir prend forme. La bergerie, dont François Mitterrand a fait son repère, est le vrai lieu des cogitations et des décisions. «C’est une pièce carrée, nue et blanche», peut-on lire. «Pour tout bureau, deux tréteaux, et une planche près d’une vaste baie. Un large lit caché derrière un muret, une minuscule salle de bains.»
Au rythme du pouvoir
Le Salon vert, comme la bergerie de Latche, comme l’avion présidentiel, ou comme le château de Versailles (dont Emmanuel Macron raffole pour ses sommets «Choose France», sorte de Davos à la française) ont cette particularité qu’ils vivent au rythme du pouvoir. Avec une différence majeure: le Salon élyséen, comme tout ce qui touche au président, est un lieu centré sur sa personne. A l’inverse de l’Hôtel Matignon, siège du Premier ministre.
«Le principe de Matignon, c’est d’être une gare de triage», raconte l’ancien chef du gouvernement Edouard Philippe. «C’est très collectif, très dans l’immédiateté, dans l’actualité, dans le combat. A l'Élysée, c’est beaucoup moins collectif et beaucoup plus discret.» La confirmation est venue dimanche 9 juin. Quand Emmanuel Macron a pris, en direct vers 20h45, la parole pour dissoudre l’Assemblée. En véritable joueur de poker du Salon vert...
A lire:
- «Les lieux du pouvoir. Une histoire secrète et intime de la politique» (Perrin)
- «Le Salon vert» de Marie Béatrice Baudet et David Gaillardon (Grasset)