Emmanuel Macron a peut-être signé ce dimanche 9 juin la fin programmée de son second mandat présidentiel. Le risque pris est en effet colossal. Si son parti présidentiel est de nouveau sèchement battu aux élections législatives convoquées pour les 30 juin et 7 juillet prochains, et si l’extrême droite devait remporter une majorité de sièges à l’Assemblée nationale, la cohabitation qui en découlerait serait implacable. La question de son éventuelle démission pourrait même se retrouver posée.
Le Rassemblement national de Marine Le Pen a beau, par la voix de sa candidate à la présidentielle, se dire «prêt» à gouverner, la réalité politique post-législatives pourrait être celle d’un choc explosif. Comment imaginer à la tête du pays un président proeuropéen, aussi engagé dans des réformes controversées (retraites, assurance-chômage…) qu’Emmanuel Macron, et un futur Premier ministre issu d’une formation qui demande le retour au plus vite à «l’Europe des nations», veut rejeter par tous les moyens possibles les immigrés clandestins, et défend un programme économique centré avant tout sur la défense du pouvoir d’achat?
C’est ce choc qu’Emmanuel Macron, élu en avril 2022 pour cinq ans face à Marine Le Pen, a décidé d’anticiper. Un double choc en réalité. A droite, le président français a compris que le parti conservateur «Les Républicains» est quasi-mort, et que la seule chance de survie de son camp politique est d’annexer ses électeurs pour faire barrage à l’extrême droite. A gauche, Emmanuel Macron voit sa liste aux européennes talonnée par celle de Raphaël Glucksmann, ce qui est une forme de défaite.
Une majorité de gouvernement?
Mais il croit encore possible une majorité avec le renfort de ce camp social-démocrate, lui-même confronté à la poussée de la gauche radicale que représente La France Insoumise (LFI) de Jean-Luc Mélenchon. La décision historique de dissolution immédiate de l’Assemblée nationale n’a donc pas été prise sous le coup de l’humiliation démocratique du jour. Macron pense qu’une porte de sortie existe toujours. Elle consiste à tout miser sur la volonté d'une majorité d'électeurs de se battre pour la survie de l’Europe communautaire et à dramatiser au maximum la prise de pouvoir possible des extrêmes en France.
Pourquoi avoir pris, dans la foulée des résultats encore non définitifs des élections européennes (environ 32% pour le RN, environ 15% pour le camp présidentiel, 14% pour le PS et 9% pour la France Insoumise), une décision de cette ampleur? Et pourquoi opter pour ce sprint législatif avant l’ouverture des Jeux olympiques le 26 juillet à Paris. Songez plutôt: les 49,5 millions d’électeurs français auront juste trois semaines pour choisir leurs députés.
Rendez-vous le 30 juin
Le premier tour, le 30 juin, sera organisé à moins d’un mois de la cérémonie d’ouverture des JO sur la Seine. Du jamais vu! La réponse à cette question est pourtant claire. Emmanuel Macron a compris qu’il avait le devoir démocratique de tirer les leçons de ce scrutin (pourtant européen et non français) car il s’enfermerait sinon dans l’image d’un président déconnecté des réalités. Et il croit qu’il peut gagner ce pari politique, un peu comme l’avait fait le Général de Gaulle en convoquant des élections législatives anticipées tout de suite après le chaos de mai 1968!
La réalité est qu’Emmanuel Macron est en campagne depuis son second discours de La Sorbonne sur l’Europe, le 25 avril. Il brûle d’en découdre à nouveau avec le Rassemblement national et ses chefs, Marine Le Pen et Jordan Bardella. Il croit qu’il peut, avec le Premier ministre Gabriel Attal à ses côtés, encore renverser la table en misant sur la prise de conscience d’une majorité de Français qui ne veut pas donner les clés du pays à l’extrême-droite.
Macron pense surtout qu’il aurait pu remporter les législatives de juin 2022. Sa posture est désormais celle d’un président engagé, lié par avance aux résultats des urnes le 7 juillet, à l’issue du second tour. Car s’il perd ce pari, la cohabitation que permettent les institutions sera très difficile. Pas sûr même qu’il désire l’assumer, après avoir bataillé ferme pour son camp et ses candidats, même si la constitution lui en donne les moyens.
Au Rassemblement national d’agir
Le coup de poker est sans précédent. Le bluff est évident. C’est maintenant au Rassemblement national de dire ce qu’il va faire s’il gouverne le pays. Les élections européennes ont permis au parti de Marine Le Pen de tout promettre, notamment d’affirmer que l’on peut rester dans l’Union européenne sans en être solidaire. Le calcul d’Emmanuel Macron est donc très habile et très brutal. Il met les Français au pied du mur, comme il l’a toujours fait. Il mise sur la vitesse plutôt que sur la pédagogie. Il ramène tout à sa personne. Il transforme, de facto, les législatives à venir en référendum pour ou contre Macron.
Tous ses opposants applaudissent car ils croient leur heure venue. Les plus âgés, comme Jean-Luc Mélenchon, flairent déjà une présidentielle anticipée.
Emmanuel Macron avait promis, en 2017, de casser les clivages traditionnels et de faire exploser la France politique à l’ancienne. C’est plus que fait. Elle est désormais pulvérisée. Ramasser les morceaux sera dès lors très compliqué.