C’est un scrutin à un seul tour qui va décider de l’avenir de l’Europe de façon bien plus décisive que les précédents. Les élections européennes qui s’achèvent ce dimanche démontreront ce que les 360 millions d’électeurs des 27 pays membres de l’Union veulent comme avenir commun, ou pas. Plusieurs pays ont déjà fini de voter (Pays-Bas, République tchèque, Irlande, Malte, Lettonie). D’autres continuent dimanche après avoir démarré samedi (Italie).
L’essentiel des opérations électorales aura toutefois lieu ce dimanche, à la proportionnelle intégrale. Les listes devront en général recueillir au moins 5% des suffrages pour obtenir des élus, et 3% pour être remboursées de leurs frais de campagne. Le pays qui élira le plus grand nombre de députés européens est l’Allemagne (96 contre 81 pour la France et 76 pour l’Italie). Les plus petits pays de l’Union enverront chacun un nombre minimum de six eurodéputés. Le nouveau Parlement européen, dont le siège se trouve à Strasbourg (mais dont le travail en commissions se déroule à Bruxelles) comptera 720 députés, élus pour cinq ans.
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La Suisse n’est pas concernée, c’est vrai?
Oui, c’est vrai sur le plan électoral. Les électeurs suisses ne sont pas conviés à se rendre aux urnes pour une raison simple: la Confédération n’est pas membre de l’Union européenne à laquelle appartiennent en revanche tous ses voisins, sauf le Liechtenstein. Donc pas de scrutin européen en Suisse ce dimanche, sauf dans les bureaux de vote ouverts par les ambassades des pays de l’UE, afin de permettre à leurs ressortissants de se prononcer.
Circulez, il n’y a rien à voir? Non, car les résultats qui sortiront des urnes en France, en Allemagne, en Italie ou en Autriche, donneront une idée du nouvel environnement politique européen. Il faut se souvenir que le «père» des formations nationales-populistes, qui ont aujourd’hui le vent en poupe, est un peu notre tribun helvétique de l’UDC Christoph Blocher. Ses diatribes contre l’UE, contre les immigrés, contre la libre circulation et pour les frontières sont reprises aujourd’hui en chœur par tous les partis de droite dure eurosceptiques, voire europhobes.
La Suisse ne peut pas être indifférente, c’est vrai?
Oui, c’est vrai. D’abord parce que la Confédération est engagée, depuis le 18 mars, dans une négociation délicate avec la Commission européenne pour aboutir à un nouveau paquet d’accords bilatéraux. Ironie du calendrier: le prochain round de négociation entre diplomates, à Bruxelles, doit s’ouvrir ce lundi 10 juin, pile au lendemain du vote qui monopolisera l’attention des interlocuteurs de la délégation helvétique.
Mais il y a bien d’autres raisons de regarder de près ce qui va se passer. 1) Parce que dans certains pays, comme la Belgique, ce scrutin européen est couplé à des élections nationales 2) Parce que le pouvoir en place, dans d’autre pays, pourrait subir une sérieuse défaite, à l’exemple de la France où Emmanuel Macron est en difficulté 3) Parce que ce scrutin se déroule sur fond de guerre en Ukraine à six jours de l’ouverture de la conférence pour la paix du Bürgenstock où plusieurs dirigeants européens (Macron, Scholz, Von der Leyen...) sont attendus.
La Suisse est citée comme modèle, c’est vrai?
Oui, c’est vrai, mais la Confédération est surtout évoquée par ceux qui combattent l’intégration européenne et vantent un repli national. La popularité de la Suisse auprès de ces partis anti-UE vient, bien sûr, de son refus persistant d’adhérer à l’Union européenne. Marine Le Pen, la candidate du Rassemblement national à la présidentielle, cite souvent en exemple la Suisse, ses référendums, sa décentralisation et ses frontières. Elle l’avait fait dans les colonnes de Blick lors de la visite en Suisse d’Emmanuel Macron en novembre 2023. En oubliant au passage que les électeurs helvétiques ont approuvé par référendum, en 2005, l’entrée du pays dans l’espace Schengen de libre circulation.
La Suisse a besoin du Parlement européen, c’est vrai?
Oui, c’est vrai. Pour une raison simple: le Parlement européen a, depuis le Traité de Lisbonne entré en vigueur le 1er décembre 2009, des prérogatives importantes, dont celles d’approuver tout accord bilatéral de l’UE avec un pays-tiers. Pour être clair: le nouveau paquet des «Bilatérales III» actuellement négocié par la Suisse avec la Commission européenne devra, une fois bouclé, être validé par le Conseil (l’instance qui représente les 27 États-membres) puis par une majorité d’eurodéputés.
Un parlementaire européen très impliqué dans les relations Suisse-UE est le Français Christoph Grudler, du groupe Renaissance (Pro-Macron). Il est aujourd’hui en douzième position sur la liste de ce parti. Ce qui, d’après les sondages (environ 15% d’intentions de vote) ne lui garantit pas un siège à l’issue du scrutin de dimanche.
La Suisse profiterait d’une victoire nationaliste, c’est vrai?
Non, ce n’est pas vrai. Il est clair que l’UDC défend cette thèse. S’ils parviennent à obtenir une minorité de blocage (ce qui n’est pas sûr du tout), voire s’ils obtiennent la majorité (ce qui semble impossible), les partis nationaux-populistes européens s’empresseront de bloquer l’Union que beaucoup considèrent comme une nouvelle «Union soviétique» bureaucratique, sans âme et sans avenir. Christoph Blocher, architecte du Non victorieux au référendum de décembre 1992 sur l’entrée de la Suisse dans l’Espace économique européen (alors perçu comme une étape vers l’adhésion) pourra crier victoire.
Mais cette satisfaction oublie deux dimensions: 1) les nationalistes défendent toujours leurs intérêts avant tout, et il n’est pas sûr que la Suisse s’en tire mieux qu’en négociation avec l’UE. 2) Le marché intérieur et l’espace de libre-circulation sont deux atouts pour l’économie Suisse, même si les syndicats dénoncent les risques de dumping social. Une Union en voie de délitement serait tout, sauf une bonne nouvelle pour une Suisse exportatrice, qui a besoin de partenariats solides et durables.