Il est l’homme qui veut (et peut) battre Emmanuel Macron. Raphaël Glucksmann, 44 ans, saura dimanche si les portes de la France politique lui sont grandes ouvertes. Jusque-là, le député européen sortant était surtout connu comme un activiste écouté à Strasbourg et Bruxelles sur les questions de droits humains, très mobilisé sur la résistance à la Russie.
Les élections européennes du 9 juin diront s’il a franchi une marche supplémentaire. Crédité de 14% des intentions de vote par les derniers sondages, au coude à coude avec celle de la majorité présidentielle, la liste qu’il dirige au nom du parti socialiste pourrait symboliser le retour au premier plan du PS sorti en ruine du quinquennat présidentiel de François Hollande, entre 2012 et 2017.
Glucksmann, en France, est d’abord un nom. Celui du père de Raphaël, André, décédé le 10 novembre 2015, considéré comme l’un des «nouveaux philosophes» les plus influents. C’est dans le sillage de cet écrivain engagé dans le combat pour le sauvetage des boat people vietnamiens dans les années 70-80, et contre la tyrannie soviétique, que l’actuel eurodéputé a marché, sans véritable boussole politique.
Au début de sa carrière, le jeune Glucksmann s’engage à droite, en misant sur Nicolas Sarkozy, ce président qui négocie un cessez-le-feu, en 2008, entre la Russie et son premier pays de cœur, la Géorgie. Quinze ans plus tard, cet épisode assez opaque de son engagement politique est peu mis en avant par l’intéressé, devenu entretemps le conjoint d’une des stars médiatiques françaises, la journaliste Léa Salamé.
Informations troublantes
Sur les réseaux sociaux, des informations troublantes sur les frasques politiques de son ex-épouse géorgienne – un temps ministre dans son pays, puis naturalisée ukrainienne – ressortent régulièrement. Lui a refermé cette parenthèse. Il s'en est expliqué et il continue de défendre le droit des Géorgiens à regarder du côté de l’Europe, et à batailler à leur côté contre la loi restrictive sur les ingérences étrangères tout juste adoptée à Tbilissi.
Son nouveau combat, dopé par son succès dans les enquêtes d’opinion? Relancer la social-démocratie et la réconcilier avec l’Europe. En misant sur son succès auprès des jeunes électeurs, fort de son sens de l’humour et de sa réputation méritée de «bosseur» et de bon connaisseur des dossiers, pour rompre le cycle des échecs électoraux successifs, en France, d’un PS ligoté par son accord électoral avec la France Insoumise (Gauche Radicale). Le fondateur et tribun de LFI Jean-Luc Mélenchon n’a jamais fait mystère de son rejet de l’intégration européenne actuelle, bien trop dominée selon lui par l’Allemagne, le capitalisme libéral et les multinationales. Glucksmann, qui n’a jamais occupé de fonctions dans le secteur privé, préfère voter contre les traités de libre-échange, et parler négociations sociales teintées d’écologisme que révolution ou insurrection.
Camp social-démocrate
Le leader européen du camp socialiste et social-démocrate est le Commissaire européen sortant à l’Emploi, le Luxembourgeois Nicolas Schmitt. L’objectif de Glucksmann et des siens est de le propulser à la tête de la Commission européenne, en remplacement de la sortante Ursula von der Leyen, candidate de la droite: «Ce qu’il faut, c’est renverser la table. La gauche doit et peut diriger l’Europe. Avec les écologistes et d’autres alliés, ce doit être notre priorité», nous expliquait-il en avril, sur le plateau de la chaîne parlementaire française.
L’Europe sociale? Celle d’un salaire minimum européen, de mesures d’accompagnement social pour amortir le choc de la décarbonation de l’économie, d’une taxation des multinationales et des plates-formes numériques, d’une taxe carbone aux frontières pour relocaliser les industries sur le Vieux Continent. Ironie de la politique? Tout ça ne colle guère au personnage Raphaël Glucksmann, mondialiste avéré, issu de la classe moyenne supérieure, sans réelles racines populaires, dont l’itinéraire est avant tout celui d'un parisien de l'élite intellectuelle.
Dérive Mélenchoniste
Reste le charisme, la dérive eurosceptique des Mélenchonistes englués dans leur soutien inconditionnel à la Palestine, l’espace ouvert en France par la droitisation accélérée d’Emmanuel Macron et de son parti «Renaissance». Avec son mouvement «Place Publique» lancé fin 2018, Raphaël Glucksmann voulait mordre sur l’électorat écologiste. Son alliance avec les socialistes, en 2019, lui a permis d’entrer au Parlement européen. Et voilà que cinq ans plus tard, les Verts sont à la traîne, loin derrière. Ils redoutent de ne pas atteindre les 5% indispensables pour avoir des élus.
Au niveau européen, les socialistes devraient maintenir leurs positions, et sans doute obtenir plus d’élus en France, en Italie et en Espagne. Il est peu probable qu’ils sortent vainqueurs du scrutin européen, mais ils auront fait mieux que résister. Un tremplin dont Raphaël Glucksmann, l’homme sans parti qui domine désormais le PS, entend bien se servir ensuite, en France, pour mobiliser tous les électeurs du centre gauche abandonnés par Emmanuel Macron. Et ulcérés par Jean-Luc Mélenchon.