Lui et elle veulent démolir l’Union européenne. Pas la casser. Pas la quitter. Jordan Bardella et Giorgia Meloni comptent bien sur les performances électorales de leurs listes, dimanche 9 juin, pour adresser un premier coup de boutoir aux institutions communautaires, qu’ils rêvent de déposséder d’un certain nombre de prérogatives.
L’Union européenne n’est pas leur cible en tant que telle. Le leader du Rassemblement national (RN) en France et la Première ministre italienne savent que leurs pays respectifs ne peuvent pas se permettre un divorce aussi coûteux et tragique que le «Brexit» britannique du 23 juin 2016. Mais pas question, pour ces deux leaders nationalistes qui caricaturent le débat politique, de laisser Bruxelles prendre toujours plus de pouvoir au détriment des États membres.
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Ils veulent démolir l’Europe, et ils pourraient bien unir leurs forces à la sortie des urnes le 9 juin. Pour l’heure, tous les experts des droites radicales, nationalistes, populistes et souverainistes, estiment peu probable ce scénario d’une convergence entre le RN et Fratelli d’Italia, le parti de Giorgia Meloni.
En effet, rien ne va plus depuis plusieurs années entre la présidente italienne du conseil, issue de la mouvance néofasciste et victorieuse des législatives du 25 septembre 2022, et Marine Le Pen, la cheffe du Rassemblement national présidé par son dauphin Jordan Bardella, issu d’une famille italienne immigrée en France.
En direct du meeting de Meloni à Rome
Sauf que leur intérêt n’est pas de rester divisés. Un homme le sait et le dit sans ambages: le Premier ministre hongrois Viktor Orbán, dont le pays prendra la présidence tournante de l’Union européenne pour six mois, le 1er juillet. «Tout dépendra de Marine et Giorgia» a-t-il répété dans un entretien au «Point», en insistant sur la nécessité d’une «union des forces de droite nationaliste» au Parlement européen. Orban est en guerre ouverte, depuis plusieurs années, avec la Commission européenne. Il rêve d’une contre-offensive contre les institutions qu’il accuse d’être dictatoriales et similaires à celles de l’ex-Union soviétique.
Ils tiennent la rampe
Pourquoi Bardella et Meloni tiennent-ils la rampe, plutôt que les Polonais du parti «Droit et Justice» (PIS), l’AFD alllemande, le parti Vox en Espagne ou Chega au Portugal, tous crédités de bonnes intentions de vote dans les sondages pour les élections à un seul tour de dimanche prochain? Parce que Jordan et Giorgia incarnent deux histoires qui parlent au grand public, au-delà des frontières de leurs pays.
Bardella, eurodéputé sortant, est un «fils du peuple» qui a grandi en banlieue parisienne, et un champion toutes catégories de TikTok, la plate-forme de vidéos sur laquelle il compte plus d’un million d’abonnés. Meloni, passée de la mouvance néofasciste au poste de Première ministre, sera aux avant-postes internationaux dans les jours qui viennent avec le sommet du G7 dans les Pouilles, les 14 et 15 juin. Tous les deux sont aussi des adversaires résolus d’Emmanuel Macron, ce président proeuropéen dont la liste est créditée aujourd’hui d’environ 16% des voix, soit la moitié des estimations pour le RN.
Jordan Bardella face à Gabriel Attal
Et après? Ce couple politique peut-il fonctionner? C’est là que tout va se jouer. En fonction de leurs résultats. Et dans leurs têtes. Giorgia Meloni a choisi de conduire elle-même la liste de son parti «Fratelli d’Italia», créditée de 27% des voix. Jordan Bardella, s’il devait dépasser les 30% des suffrages, adressera une gifle politique à Macron, au Premier ministre Gabriel Attal et il fera aussi de l’ombre à sa propre cheffe Marine le Pen, beaucoup plus proche du leader de la «Lega» italienne Matteo Salvini, allié turbulent de Meloni qui brûle de la remplacer.
Meloni courtisée par la droite
Le calcul est simple. Meloni est courtisée par la droite traditionnelle, y compris par la présidente sortante de la Commission européenne Ursula von der Leyen, candidate à un second mandat. Elle pourrait donc jouer cavalier seul et prendre ses distances avec Bardella, Orban et consorts. Sauf que la dirigeante italienne veut peser lourd. Elle est aussi très proche du parti espagnol Vox. Alors, pourquoi se diviser?
Même si le RN continuera de siéger dans son groupe IDE (identité et Démocratie) au Parlement européen, et si «Fratelli d’Italia» reste au sein de ECR (Conservateurs et réformistes), l’important sera d’unir leurs voix, de définir un agenda, et de bloquer s’ils le peuvent les majorités sur les textes qu’ils combattent.
Pas facile, car toutes les estimations donnent une majorité de sièges, le 9 juin, au PPE (conservateur, premier parti sortant) et aux socialistes, alliés aux écologistes et aux Libéraux de Renew (le camp Macron). Mais en politique, le fond des urnes est toujours un mystère.
Tous deux pragmatiques
Meloni et Bardella ont en plus un agenda commun: ils sont tous deux des pragmatiques. Ultra-conservatrice sur les valeurs familiales, anti-LGBT affirmée, partisane de politiques d’expulsions massives des immigrés clandestins (qu’elle n’a pour l’heure pas mis en place, régularisant au contraire des centaines de milliers de personnes), «Giorgia» est en revanche pour le soutien à l’Ukraine contre la Russie, et très bien vue des États-Unis. Elle connaît aussi les fragilités de l’économie de son pays, hyperdépendant des fonds européens du plan de relance de juillet 2020 «Next Generation EU» dont il est le premier bénéficiaire avec 194 milliards d’euros.
«Jordan», dont le bilan d’eurodéputé est quasi nul, a aussi beaucoup reculé. Il esquive les questions économiques. Il se dissimule derrière le slogan «Europe des nations». Il ne fait pas partie de la génération des dirigeants de son parti associés de près à la Russie de Poutine. Son public est la jeunesse populaire obsédée par le déclassement, l’insécurité et l’immigration.
Bardella-Meloni? Tout devrait les séparer. Mais attention: l’élection du 9 juin, sans impact national direct, va redistribuer beaucoup de cartes. Et elle pourrait leur donner des atouts pour avancer ensemble.
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