Ces deux-là ne se comprennent pas. Ils ont en tout cas de la peine à parler à l’unisson, et à agir simultanément. Emmanuel Macron rencontre ce mardi 28 mai à Berlin l’homme politique européen qui lui ressemble sans doute le moins.
A lire sur la France et l'Europe
Olaf Scholz, 65 ans, est un Chancelier allemand dont les méthodes, les intuitions, mais aussi le cursus politique sont aux antipodes du président français. L’ancien maire social-démocrate de Hambourg, le grand port de la mer du nord, a la patience et la prudence rivées en lui. Il est un pur produit du régime parlementaire allemand, où le Bundestag a le dernier mot sur presque tout, y compris en politique étrangère. Macron, lui, est l’archétype du président-monarque, capable d’intervenir sur un sujet sans en avoir informé ses ministres, ses conseillers, et encore moins le Parlement. Or ces deux-là sont supposés former un couple. C’est du moins ce qu’écrivent les médias français alors que leurs homologues allemands préfèrent, de longue date, parler de tandem ou de moteur franco-allemand.
Tribune dans le «Financial Times»
Que faut-il, alors, pour que les sentiments et l’affection naissent entre ces deux hommes au parcours si différent? Entre Scholz l’apparatchik du SPD, ministre des Finances dans la coalition d'Angela Merkel puis Chancelier depuis décembre 2021, et Macron le «disrupteur», jamais élu avant d’atterrir à l’Élysée en mai 2017, le manque de connivence est patent. Sauf que la situation européenne exige des actes. Depuis son arrivée en Allemagne dimanche, Emmanuel Macron a répété ce qu’il avait dit dans son second discours de la Sorbonne, le 25 avril: «L’Europe est mortelle», menacée par les nationalistes qui ont le vent en poupe dans les sondages et rêvent de la détruire.
Or voilà que le Chancelier, dans une tribune conjointe publiée lundi 27 mai par le «Financial Times» lui donne enfin raison: «Nous ne pouvons pas prendre pour acquis les fondements sur lesquels nous avons bâti notre mode de vie européen et notre rôle dans le monde», écrivent les deux dirigeants. «Notre Europe est mortelle, et nous devons relever ce défi».
Reste donc à passer à l’acte. C’est-à-dire à signer une sorte de contrat de mariage politique. Comment? Le Conseil des ministres franco-allemand qui se réunit ce mardi 28 mai à Berlin ne va pas subitement ressortir transformé en une instance binationale capable de gérer ce tandem. C’est sur les deux hommes que repose l’édifice. Avec trois priorités aujourd’hui, sans lesquelles leur alliance ne sera pas perçue comme crédible par les adversaires de l’Union européenne, mais aussi par ses 25 autres pays membres.
La question des missiles Taurus
La priorité absolue est de s’engager à dire la même chose, en particulier sur l’Ukraine. Jusque-là, l’Allemagne a tenu bon sur sa ligne connue de dépendance stratégique envers les États-Unis. Pas un mot sans l’approbation de Washington. La seule autonomie prise par le Chancelier Scholz sur ce dossier ukrainien est sa décision de ne pas donner à Kiev les missiles à longue portée Taurus, que les Français réclament pour l’armée ukrainienne.
Cela peut-il changer après cette visite? Oui, s’ils parviennent à tomber d’accord sur les futurs contours de la défense européenne et de «l’autonomie stratégique» proposée par Emmanuel Macron. Lequel a récemment proposé, sans rencontrer de succès du côté de Berlin, d’européaniser la dissuasion nucléaire française. L’arme atomique pourrait être utilisée par Paris en riposte à des frappes nucléaires sur l’Allemagne, ce qui n’avait jusque-là jamais été explicité.
La seconde priorité, pour ce couple qui ne parvient pas à faire lit politique commun, est de s’entendre sur une stratégie industrielle. L’heure est aux rapatriements d’usines et de sites de production sur le continent européen pour diminuer les risques entraînés par une trop grande dépendance vis-à-vis de la Chine, premier partenaire commercial de l’Allemagne. Alors, qui va produire quoi? Quelles usines en France? Quels laboratoires de recherche en Allemagne? Quelle répartition des postes de travail pour les projets en cours dans l’industrie de défense, comme l’avion et le char du futur?
Revitaliser la logique Airbus
Macron et Scholz doivent revitaliser la logique Airbus, cet avion commercial européen produit à plusieurs, dans plusieurs pays. Condition sine qua non: se faire confiance: «Les deux dirigeants restent en désaccord sur la place du nucléaire, la stratégie budgétaire, les accords commerciaux ou le degré de protectionnisme» relève, dans l’hebdomadaire Le Nouvel Observateur, Hélène Miard-Delacroix, spécialiste de l’histoire de l’Allemagne à la Sorbonne.
La troisième priorité est de travailler ensemble au même avenir, face au péril représenté par les droites nationales populistes. En France, le Rassemblement national récolte environ 30% des intentions de vote pour les élections européennes du 9 juin. En Allemagne, l’AfD est la seconde force politique du pays, avec environ 20% des suffrages. Problème pour le couple Macron-Scholz? Tous deux sont en mode de survie politique. Le président français ne pourra pas se représenter en mai 2027. Le Chancelier est aujourd’hui donné perdant aux élections législatives allemandes prévues en septembre 2025. Or un couple, pour tenir, a besoin de projets à long terme. Pas sûr que Macron y croit vraiment: «Il est tenté d’attendre patiemment que le mandat du gouvernement actuel se termine juge dans un éditorial le quotidien Frankfurter Rundschau. Dans un peu plus d’un an, le chef de file de la CDU/CSU (conservateurs), Friedrich Merz, prendra peut-être le relais d’Olaf Scholz. Et Paris table sur le fait que le chrétien-démocrate, certes intraitable sur les questions financières, se montrera plus ouvert à une coopération dans d’autres domaines».
Couple impossible?
Scholz-Macron, le couple impossible? Non. Car il y a urgence et les appels à l’aide lancés cette semaine par le président ukrainien, en visite en Europe, contribuent à les rapprocher. Le député européen pro-Macron Bernard Guetta, ancien journaliste familier de la Suisse, en est persuadé: «La marche vers une défense commune sera inévitablement freinée par des conflits d’intérêts. Mais le rapprochement de la France, de l’Allemagne et de la Pologne est annonciateur de ce qui est en train de devenir sous nos yeux le troisième volet de l’unité européenne: après le marché commun et la monnaie unique, l’heure de l’unité politique a sonné».
Problème: Varsovie et Berlin attendront toujours un feu vert de Washington. Pas sûr que l’europhobe Donald Trump, s’il est élu en novembre à la présidence des États-Unis, se félicite de cette union et offre le cadeau aux mariés!