Emmanuel Macron y croit
En 2030, l'Europe peut-elle être l'égal des États-Unis et de la Chine?

Le président français a exhorté ses partenaires européens à construire d'ici 2030 une «Europe puissance» capable de rivaliser avec les États-Unis et avec la Chine. Crédible? Pas vraiment.
Publié: 25.04.2024 à 20:29 heures
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Le président français a axé son second discours de la Sorbonne sur «l'Europe puissance».
Photo: IMAGO/Bestimage
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Richard WerlyJournaliste Blick

C’est une date qui frappe. Dans six ans. En 2030. D’ici-là, selon Emmanuel Macron, l’Union européenne (UE) doit avoir, avec ses partenaires et voisins comme la Suisse, renversé la table. En clair: elle doit avoir réussi ce qu’elle n’est pas parvenue à faire jusque-là: être une puissance égale aux États-Unis et à la Chine, les deux géants mondiaux, dont l’affrontement a commencé. Comment? En dopant ses programmes de recherche, d’innovation, mais surtout son économie, appuyée sur le grand marché de 450 millions de personnes.

Crédible? Pas vraiment. Mais le président français a eu l’immense mérite, lors de son discours de la Sorbonne ce jeudi 25 avril, de fixer des objectifs. Les voici.

Pourquoi viser 2030?

Le calcul d’Emmanuel Macron est simple. Tout son discours, qui a duré près de deux heures, était placé sous le signe de l’urgence. Pour le président français, les États-Unis et la Chine sont aujourd’hui engagés dans un duel dont ils sortiront tous les deux renforcés dans les prochaines années. Leurs efforts militaires, scientifiques et technologiques, vont se poursuivre à vitesse grand V.

Or si l’Union européenne n’est pas capable de riposter dans les années à venir, le fossé va s’accroître entre ces deux puissances et les 27, dont le très lucratif marché de 450 millions d’habitants sera envahi par les innovations américaines et chinoises. S’y ajoute le défi politique. «A l’horizon de la prochaine décennie, […] le risque est immense d’être fragilisé» a asséné Emmanuel Macron, estimant également que les valeurs de la «démocratie libérale» sont «de plus en plus critiquées et contestées». En clair: redresser la tête maintenant est impératif.

Une Europe souveraine, vraiment?

C’est le vœu d’Emmanuel Macron, qu'il a répété alors que les États-Unis viennent finalement d’adopter le paquet d’aides de 95 milliards de dollars pour l’Ukraine, Israël et Taïwan. Il faut, a-t-il dit, bâtir une «Europe puissance» qui «se fait respecter», «assure sa sécurité» et reprend «son autonomie stratégique». Il souhaite pour cela que l’UE se dote d’une «initiative européenne de défense» qui inclura «peut-être» un bouclier antimissile européen. Il a aussi souhaité la création d’une «capacité européenne de cybersécurité et de cyberdéfense».

Cet appel à galvaniser la défense de l’Europe suffira-t-il face aux États-Unis et à la Chine? On peut déjà répondre que non. Il est très peu probable, voire impossible, que l’Union européenne se dote, en six ans, des capacités de production industrielles et militaires comparables à celles des deux géants. Il est très peu probable, aussi, que les pays de l’UE acceptent, comme le propose Emmanuel Macron, d’acheter en priorité des armes européennes pour se défendre. Le plus probable? La souveraineté sera négociée et partagée avec Washington. En 2030, le parapluie sécuritaire américain, à travers l’Otan forte de 32 pays membres, sera toujours effectif. Sauf si, bien sûr, un nouveau président nommé Donald Trump en décide autrement…

Trouver l’argent, l’enjeu prioritaire


Transformer l’Europe d’ici 2030 va coûter cher. Très cher. L’on sait par exemple que le coût de la transition énergétique vers une économie européenne décarbonée va nécessiter des investissements considérables à l’échelle du continent, en centaines de milliards d’euros. La relance de filières industrielles pour les batteries électriques, et la renaissance de l’industrie européenne photovoltaïque (décimée par la concurrence déloyale chinoise) commencent tout juste. Les premières usines sortent à peine de terre.

Où trouver l’argent pour financer ce changement de paradigme économique, pour reprendre l’expression utilisée de nombreuses fois par Emmanuel Macron? Le locataire de l’Élysée a dégagé trois pistes: de nouveaux emprunts mutualisés, comme cela a été fait durant l’épidémie de Covid-19, à hauteur de 750 milliards d’euros; l’augmentation des ressources propres de l’Union grâce à l’instauration de taxes à ses frontières (en particulier la taxe carbone), et la mise en commun de moyens budgétaires nationaux existants. «Il nous faut à nouveau un choc d’investissement commun, un grand plan d’investissement budgétaire» pour la défense, l’intelligence artificielle, la décarbonation, a-t-il plaidé en demandant un doublement de «la capacité d’action financière» de l’Union européenne. Pas sûr que les 27 tombent d’accord sur ce point.

Quels secteurs décisifs?


Priorité absolue aux secteurs technologiques cruciaux, ceux qui dédieront de notre avenir. Emmanuel Macron a estimé, dans ce second discours de la Sorbonne, que l’Union européenne doit devenir d’ici à 2030 un «leader mondial», avec des «stratégies de financement dédiées», dans cinq «secteurs stratégiques de demain» : intelligence artificielle, informatique quantique, espace, biotechnologies et «nouvelles énergies» (hydrogène, réacteurs modulaires et fusion nucléaire).

Dans «la défense et le spatial», il veut inscrire dans les traités communautaires «la préférence européenne». Il a également appelé à réviser la politique commerciale européenne car la Chine et les Etats-Unis ne «respectent plus les règles du commerce telles qu’elles ont été écrites il y a quinze ans». Le programme Horizon Europe, que la Suisse cherche à réintégrer à l’issue des négociations bilatérales en cours, sera aux avant-postes.

Macron, prophète européen?

Le président Français a le mérite de poser sur la table un diagnostic complet des faiblesses actuelles de l’Union européenne, et des besoins pour redresser la barre. Mais il l’a fait de façon très académique, peu populaire, en parlant peu du social alors que les préoccupations des Français sont dominées par l’inquiétude autour du pouvoir d’achat. La question est, avec lui, toujours la même: sera-t-il suivi par ses pairs? Et comment ce discours sera interprété par les électeurs, en pleine campagne pour le scrutin européen du 9 juin? «Etre européen, c’est pas simplement habiter une terre de la Baltique, de la Méditerranée ou de l’Atlantique à la mer Noire, c’est défendre une certaine idée de l’homme qui place l’individu libre, rationnel et éclairé au-dessus de tout», a déclaré, lyrique, Emmanuel Macron.

On l’a compris: son objectif politique était, avec ce discours, de démontrer l’impasse dans laquelle les partis nationaux-populistes placent selon lui l’Europe, alors que La Russie tente ouvertement de déstabiliser le continent. Le chef de l’État a d’ailleurs terminé son allocution en accusant les nationalistes de vouloir rester dans «l’immeuble» européen sans «payer le loyer» ni respecter les «règles de copropriété» . Problème: dans quelques semaines, le camp national-populiste sortira des urnes renforcé, et plus puissant au sein du parlement européen. Avec des moyens accrus pour empêcher cette renaissance européenne d’ici 2030.

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