«L’Europe est mortelle». Emmanuel Macron l’a affirmé à plusieurs reprises ce jeudi 25 avril lors de son second discours à la Sorbonne, prononcé sous la coupole de la fameuse université parisienne. Une dramatisation volontaire, en pleine campagne pour les élections européennes du 9 juin.
Mortelle, l’Union européenne? Oui pour le président français qui a plaidé, durant près d’une heure, pour une «Europe puissante», capable de nouer des nouveaux partenariats avec les pays tiers. Il n’a pas cité la Suisse durant son discours. Mais son constat intéresse directement la Confédération, membre de l’espace Schengen. Voici les cinq raisons pour lesquelles la vision de Macron sur l'avenir de l'Europe, pour éviter la mort de celle-ci, concerne la Confédération.
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Pour éviter l’Europe mortelle, dépasser Bruxelles
L’argument fort de ce discours d’Emmanuel Macron est d’avoir dépassé les frontières de l’Union européenne et de ses 27 pays membres. En matière de défense, le président français a par exemple plaidé pour une préférence européenne dans les achats d’armement qui pourrait intégrer des pays tiers, comme le Royaume-Uni, la Norvège ou la Suisse. Idem en matière d’immigration. Lorsque le locataire de l’Élysée propose de transformer le Conseil des ministres de l’espace Schengen en «Conseil de sécurité intérieure», il inclut de facto la Suisse. Sa préoccupation principale, qui est de restaurer une ambition européenne face à la recomposition du monde, ne peut pas se limiter à l’Europe des 27. A plusieurs reprises, Emmanuel Macron a d’ailleurs reparlé de la Communauté politique européenne (CPE), dont la Suisse est membre. Il a aussi souligné l’importance d’accords bilatéraux (entre la France et l’Allemagne, la France et l’Espagne…). Tout ne se joue pas à Bruxelles.
Pour éviter l’Europe mortelle, s’armer
Il faut s’armer. Sur le plan de la défense, mais aussi de l’innovation, de la recherche et des technologies décarbonées. Là aussi, ce qu’a dit Emmanuel Macron concerne la Suisse dont les ressources hydroélectriques sont indispensables au réseau énergétique européen, et dont les universités comptent parmi les meilleures du continent. De ce point de vue, le discours du président français tombe à pic pour la Confédération, qui vient de reprendre les négociations bilatérales avec la Commission européenne. Celles-ci aboutiront en effet à un retour des universités helvétiques dans le programme de recherche européen «Horizon».
Plus problématique en revanche: la volonté d’Emmanuel Macron d’utiliser le levier du marché européen de 450 millions de personnes. L’Organisation mondiale du commerce (OMC), basée à Genève, peut-elle encore être le lieu de règlement des différends entre l’UE et les puissances concurrentes qui, selon le président français, «ne respectent pas les normes»? Stratégie de réciprocité, affichage de l’empreinte carbone des produits, défense du «made in Europe»… avec des forces douanières communes. Cette Europe peut-elle faire prévaloir son point de vue sur les bords du Léman? A voir.
Pour éviter l’Europe mortelle, innover
Le président français l’a expliqué. L’Union européenne doit agir comme une «puissance d’équilibre» capable de nouer des partenariats et de montrer qu’elle n’est pas adepte du «deux poids deux mesures», si souvent dénoncé par les pays du «sud global». Mais quels partenaires? Dans tous les domaines, la Suisse peut apporter son concours et bénéficier d’une réémergence d’une puissance commerciale et industrielle européenne. Sa présence au sein de la Communauté politique européenne est un atout. Mais les prochains accords bilatéraux en négociation lui permettront aussi de participer à ces partenariats dans des secteurs tels que les semi-conducteurs ou la santé. Le plaidoyer d’Emmanuel Macron justifie d’avancer au plus vite vers des «bilatérales III» pour que les acteurs helvétiques profitent du sursaut européen dans les domaines de l’intelligence artificielle, de l’informatique quantique, de l’espace, des biotechnologies et des nouvelles énergies, cinq secteurs stratégiques cités par le Chef de l’État.
Pour éviter l’Europe mortelle, rapatrier les migrants déboutés
Là aussi, la Suisse est concernée, à la fois comme pays membre de l’espace Schengen et comme pays contributeur (en argent et en personnel) à l’agence Frontex de gestion des frontières extérieures de l’UE. Le président français a plaidé pour une politique commune d’allocation des visas et des aides en contrepartie d’une acceptation au retour des migrants déboutés du droit d’asile. Il s’est dit opposé à des solutions conclues avec des pays tiers, à l’image de l’accord que le Royaume-Uni vient de passer avec le Rwanda. «Il faut conditionner nos visas et nos préférences commerciales à la politique de retour» a-t-il expliqué. Logique. Berne y a aussi intérêt.
Pour éviter l’Europe mortelle, résister
C’est le sujet sans doute le plus problématique pour la Suisse et sa neutralité dans le discours d’Emmanuel Macron. Celui-ci a en effet assumé ses déclarations récentes, fin février, sur la possibilité d’envoyer en Ukraine des troupes au sol si la dynamique du conflit l’exige. Pas un mot sur la conférence de paix convoquée par la Suisse les 15 et 16 juin, au lendemain du sommet du G7 en Italie. La logique de confrontation prévaut avec la Russie, «cette puissance désinhibée». Pas simple d’être et de rester neutre dans ce nouvelle Europe, telle que Macron la souhaite.