Un ancien ministre slovaque succèdera bientôt, à Berne, à un ancien expert grec du renseignement. Miroslav Lajčák, 61 ans, spécialiste des Balkans et ex-représentant spécial de l’Union européenne (UE) en Bosnie-Herzégovine (2007-2009), a été désigné mardi 16 avril comme le futur ambassadeur de l’UE en Suisse par le Haut représentant pour les Affaires étrangères Josep Borrell. Il remplacera l’actuel titulaire du poste, Petros Mavromichalis, en poste depuis 2020. Ce haut fonctionnaire grec dirigeait précédemment la division «Open Source Intelligence» du Service européen d’action extérieure (SEAE).
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La comparaison du parcours des deux hommes reflète la nouvelle donne entre la Confédération et son premier partenaire commercial et politique. Petros Mavromichalis était arrivé à Berne alors que l’espoir demeurait d’un possible accord institutionnel entre la Suisse et l’UE, ce qui serait revenu à arrimer le pays à l’Union de façon non sectorielle, mais globale.
L’expert grec, fin connaisseur des arcanes internes de la Commission, était l’interlocuteur parfait. D’autant que son pays d’origine avait expérimenté, de son côté, de longues négociations avec la Suisse sur les questions fiscales, notamment pendant la crise de la dette de 2008-2015.
Une gifle infligée à Bruxelles
La gifle infligée à Bruxelles par le Conseil fédéral le 26 mai 2021, avec son rejet unilatéral de ce projet d’accord, a en revanche fait rebasculer le dossier européen dans une autre logique, bien connue de ce côté-ci de la frontière: celle des bilatérales. Place à de nouvelles négociations sectorielles, et retour à un partenariat «à la carte» entre la Suisse et Bruxelles, en sachant que la Confédération est aussi membre de la Communauté politique européenne (CPE) dont elle a proposé d’organiser un prochain sommet en 2025.
Il fallait donc quelqu’un, à Berne, capable de regarder vers la nouvelle frontière de l’est avec la Suisse. Mirosla Lajčák est cet homme, auréolé en plus d’une fine connaissance du Kosovo, cet État balkanique dont la Confédération a très tôt reconnu l’indépendance, le 27 février 2088, dix jours après la proclamation de celle-ci par Pristina.
Une autre nouvelle, simultanément, risque fort d’influer sur le travail des diplomates suisses, présents cette semaine à Bruxelles pour un nouveau round de négociations, alors que les 27 Chefs d’Etat ou de gouvernement des pays membres de l’UE se retrouvent ce mercredi et jeudi pour un Conseil européen extraordinaire. La montée en puissance remarquée de l’ancien Premier ministre italien Mario Draghi, 76 ans, est au centre des discussions. Le nom de cet ex-patron de la Banque centrale européenne (BCE) est désormais souvent cité pour un des «top jobs» de l’UE, le plus souvent pour le Conseil (qui représente les États membres), mais pourquoi pas pour la Commission européenne, si la sortante Ursula von der Leyen échoue dans sa quête d’un second mandat.
Une longue intervention
Dans une longue intervention publiée ce mercredi 17 avril sur le site français de géopolitique «Le Grand continent», Mario Draghi a précédé la présentation du rapport sur la compétitivité européenne qu’il doit présenter lors du sommet. Un autre ancien Premier ministre italien, Enrico Letta, a lui planché sur l’approfondissement de ce marché unique européen auquel les entreprises helvétiques souhaitent avoir accès dans les meilleures conditions possibles. Il rendra également un rapport aux dirigeants des 27. Que dit Mario Draghi qui peut intéresser la Suisse?
Point 1: Le retour du social
La politique sociale doit faire son grand retour comme le préconise ici un certain Pierre-Yves Maillard. «Nous avons délibérément poursuivi une stratégie visant à abaisser les coûts salariaux les uns par rapport aux autres. En combinant cette approche avec
une politique budgétaire procyclique, l’effet net n’a été que d’affaiblir notre propre demande intérieure et de saper notre modèle social.» Bigre! Exactement ce que disent les partisans de mesures d’accompagnement avant toute conclusion d’un troisième paquet d’accords bilatéraux!
Point 2: Le retour des aides d’État
«Nous avons besoin d’une stratégie pour protéger nos industries traditionnelles, dans un contexte où les règles du jeu sont devenues inéquitables à l’échelle mondiale en raison des asymétries dans les réglementations, les subventions et les politiques commerciales.» En clair: la porte aux aides d’État à l’industrie et aux entreprises, que la Commission européenne a longtemps reproché à la Confédération et aux cantons, doit être rouverte. Difficile de faire plus adapté aux demandes des milieux économiques helvétiques.
Point 3: L’uniformisation des règles
«Nous devons rationaliser et harmoniser davantage les réglementations, notamment en matière de télécommunications dans les États membres, et soutenir plutôt qu’entraver la consolidation. L’effet d’échelle est également crucial, d’une manière différente, pour les jeunes entreprises qui génèrent les idées les plus innovantes.» Là, Mario Draghi met le doigt sur ce qui motive les partisans d’accords rapides avec l'Union européenne dans le domaine de l’électricité ou de la santé. Car qui dit uniformisation dit accès garanti au marché de 450 millions d’habitants pour ceux qui la pratique, et exclusion pour les autres.
Point 4: La recherche est prioritaire
Autre bonne nouvelle pour les pro-européens de Suisse qui considèrent indispensable le retour de la Confédération dans le programme de recherche de l’UE «Horizon Europe». Mario Draghi plaide pour un réseau européen de supercalculateurs «qui pourrait être utilisé par le secteur privé, par exemple par des startups et des PME spécialisées dans l’intelligence artificielle. En retour, les avantages financiers reçus pourraient être réinvestis pour moderniser les HPC et soutenir l’expansion du cloud de l’Union». L’histoire ne dit pas (encore) si l’ancien Premier ministre Italien va reprendre des responsabilités à Bruxelles. Mais au vu de ses propositions, Berne aurait plutôt intérêt à le revoir dans un avant-poste communautaire.