Attention, voilà le mot qui fâche et qui fait remonter à la surface les pires souvenirs européens: ceux des années trente et ceux de la Seconde Guerre mondiale, lorsque le fascisme et le nazisme mirent le continent à feu et à sang. «Notre Europe est mortelle» a asséné le 25 avril Emmanuel Macron dans son second discours de la Sorbonne sur l'avenir du continent. Mortelle, jusqu'où? À moins d'un mois des élections européennes qui auront lieu du 6 au 9 juin, il nous fallait poser la question.
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Les fascistes sont-ils de retour? Peut-on considérer qu'une poignée d'Italiens en chemises et blousons noirs, bras tendus, pour la commémoration de la mort de Benito Mussolini le 25 avril 1945, veulent voir la fin de la démocratie dans la péninsule dirigée par une Première ministre issue de la mouvance néo-fasciste, Giorgia Meloni? Doit-on s'inquiéter des paroles prononcées lors de la réunion des partis nationaux populistes à Madrid, ce week-end, à l'invitation de Vox, la formation d'extrême-droite espagnole ouvertement nostalgique du régime dictatorial du Général Franco, décédé en novembre 1975? Doit-on prendre peur lorsque le chef de l'Alternative für Deutschland (AFD) Maximilian Krah déclare ces jours-ci, dans La Repubblica: «Je ne dirai jamais que quiconque portait un uniforme SS était automatiquement un criminel?»
Les néo-nazis grecs
On connaissait les néo-nazis grecs d'Aube Dorée, qui disposèrent entre 2012 et 2019 d'une vingtaine de députés à la Vouli, le Parlement héllénique. Mais aurait-on imaginé que dans le paisible Portugal, où les sociaux démocrates continuent de faire de très bons scores, le parti Chega, nostalgique de la dictature de Salazar, compterait 48 députés, comme c'est le cas depuis les législatives de mars?
Il faut se méfier des mots. Fascistes. Extrême-droite. Nationaux-populistes. Y a-t-il une convergence des luttes et des intérêts entre ces formations qui, dans la plupart des sondages pré-électoraux, obtiennent entre 20 et 30% des intentions de vote ? Sur le papier, la réponse a jusque-là été non. Les partis d'extrême droite, aux plates-formes réactionnaires, disposent d'élus dans deux groupes distincts au sein du Parlement européen sortant: le groupe ECR (Conservateurs et réformistes) dominé par les polonais du parti Droit et Justice et par le parti Fratelli d'Italia de Giorgia Meloni. Et le groupe Identité et démocratie (ID) dominé par le Rassemblement national Français et l'AFD allemande. Lesquels viennent officiellement de divorcer après la décision de Marine Le Pen, annoncée mardi, de ne plus siéger ensemble.
Orban, très courtisé
Ces deux groupes ont beaucoup courtisé les eurodéputés du Premier ministre Hongrois Viktor Orban, rejeté hors du Parti conservateur PPE, la force dominante du Parlement de Strasbourg. Et demain? Que se passera-t-il alors qu'Orban assumera, à partir du 1er juillet, la présidence tournante semestrielle de l'Union européenne?
La réalité est qu'aucun de ces partis ne propose d'en finir avec la démocratie et les libertés, comme jadis Mussolini et Hitler. Leur obsession est l'immigration et le rejet des clandestins, le plus souvent par la force s'il le faut. Leur autre priorité est la défense des classes populaires et moyennes, selon eux laminées par l'Europe communautaire. Ils se présentent comme les partis défenseurs des «petites gens», à la manière de Donald Trump aux Etats-Unis, dont tous sont très proches sur le fond. En matière économique en revanche, certains sont très ouverts à l'économie libérale et capitaliste, comme la Lega de Matteo Salvini en Italie. Tandis que d'autres, comme le RN français, défendent une forte intervention de l'État dans l'économie à coups de subventions publiques.
Le tournant du 9 juin
L'élection qui aura lieu du 6 au 9 juin sera toutefois un tournant. C'est pour cela qu'il faut la regarder de très près, y compris en Suisse, même si le pays n'est pas membre de l'UE. La première question est de savoir si ces partis d'extrême-droite obtiendront, à la sortie des urnes, une minorité de blocage au Parlement européen, ce qui pourrait les inciter à unir leurs voix pour bloquer des projets de directives. La seconde question porte sur l'ampleur de leur vote, dans chaque pays. En France, une défaite massive d'Emmanuel Macron, ce président très pro-européen, entamerait sérieusement la crédibilité de ce dernier à Bruxelles. Troisième interrogation enfin: va-t-on assister à une vague de propositions réactionnaires pour détricoter certaines libertés en Europe, et empêcher la poursuite de l'intégration au sein de l'UE?
Poutine regarde tout cela
Un homme regarde tout cela avec intérêt et envie: Vladimir Poutine. La plupart de ces formations, sauf celle de Girogia Meloni et le PIS Polonais, considèrent le président russe comme un homme fort qui offre un modèle alternatif. Ils voient en lui une sorte de «caudillo» défenseur d'une société chrétienne et résistance à la vague LGBT et «woke». Ils regardent son utilisation de la force en Ukraine avec indulgence – même si ces partis la condamnent – car ils sont fondamentalement préoccupés par leurs agendas nationaux.
L'Union européenne n'est pas armée pour un coup de boutoir national-populiste. Elle résistera, car ils n'emporteront pas la majorité des eurodéputés et sont souvent divisés. Mais leurs assauts multiplient les fissures. «L'Europe tiendra» assure, optimiste, l'écrivain italo-suisse Giuliano da Empoli, spécialiste des populismes. Oui, elle tiendra. Mais personne ne sait aujourd'hui dans quel état elle se retrouvera, si la nostalgie fasciste remonte trop à la surface des urnes.
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