Jordan Bardella est leur héros. Oui, «héros» est bien le mot. Pour Clara, Enzo et Livio, tous trois originaires de Seine-Saint-Denis, le département où a grandi le jeune président du Rassemblement national (RN), ce dernier incarne le renouveau qu’il faut pour la France: beaucoup moins d'immigrés illégaux, beaucoup plus de sécurité, et une priorité nationale é tous les étages.
Les sondages leur donnent d’ailleurs en partie raison: la liste du RN conduite par Jordan Bardella est créditée de 30 à 32% des intentions de vote pour les élections européennes du 9 juin. Soit le double de la liste du camp présidentiel, qui stagne autour de 15%. Oublié, le RN diabolisé, même si Emmanuel Macron répète sans cesse, comme il le fait depuis lundi lors de sa visite d'État en Allemagne, que «l'Europe est mortelle» et que les nationalistes cherchent à la tuer. Bardella, un tueur du rêve européen. «Non, un réaliste qui incarne l’avenir pour la France. C’est l'opposé», note Clara, aujourd’hui attachée parlementaire d’un député RN élu en 2022. «Regardez ce qu’il a fait depuis 2019. Impressionnant, non?»
La «Génération Bardella» est une réalité. Elle ne distille pas la haine. Elle s'est construit sur le sentiment d'une identité française bafouée, et sur le rejet d'une société qui engloutit inéluctablement les classes moyennes. Les fans du chef de file du RN, lui-même âgé de 28 ans, ont tous autour de 25 ans. Ils vivent souvent leur première expérience professionnelle. Ils ont choisi, comme lui, de quitter leurs études supérieures de façon précoce après le baccalauréat. Ils militent sans se cacher pour le RN, y compris dans les quartiers difficiles où beaucoup continuent de résider. Les jeunes que nous avons interrogés à Saint-Denis, à quelques centaines de mètres du Lycée Jean-Baptiste de la Salle où «Jordan» a étudié au début des années 2000, répondent tous par les mêmes arguments lorsqu’on les interroge sur le dauphin de Marine Le Pen.
Ils voient en lui, le fils d’immigrés italiens de condition modeste, un modèle de méritocratie républicaine. Ils se reconnaissent dans sa façon d’asséner calmement ses arguments, sans recourir aux accents de colère jadis familiers des tribuns ouvertement xénophobes et antisémites du Front national. Ils notent que leur leader n'a plus aucun problème avec la communauté juive. Ils lui reconnaissent une capacité à encaisser les coups sans vaciller et à ne pas dévier de sa ligne symbolisée par son slogan de campagne «La France revient». Ils le trouvent «pro». Bref, l’étoffe d’un vrai chef.
Une star politique
Jordan Bardella est une star politique en France. A 28 ans, le président du RN est déjà l’une des personnalités politiques préférées des Français, parfois même mieux apprécié que Marine Le Pen, à qui il doit tout et qui a déjà proposé de le nommer Premier ministre si elle accédait à l’Élysée. Est-il armé pour faire face aux arguments solides d’un Emmanuel Macron ou du Premier ministre Gabriel Attal?
Sa prestation lors du débat télévisé du 23 mai avec le jeune chef du gouvernement de 35 ans l’a montré fragile, peu à l’aise sur le fond des dossiers européens, en difficulté lorsqu’il s’agit d’expliquer pourquoi son parti, autrefois violemment contre l’Union européenne, ne propose plus de la quitter aujourd’hui. Comme eurodéputé, son bilan est, de notoriété publique, pour le moins maigre. De la présence aux sessions plénières et puis s'en va...Les téléspectateurs, pourtant, ne lui en ont pas tenu rigueur. Un sondage Odoxa estime que l’eurodéputé sortant «a fait jeu égal» avec son adversaire. 51% des Français estiment qu’il a même été plus convaincant, en particulier sur les aspects les plus concrets de leur vie quotidienne impactée par les politiques communautaires.
L’homme des «punchlines»
Bardella est avant tout l’homme des «punchlines» préparées à l’avance, dont certaines empruntées à un certain… Emmanuel Macron, comme l’a montré l’émission Quotidien. Un retournement inattendu, pour le représentant d’un parti qui prônait auparavant la sortie de la monnaie unique. Le président français et ses partisans renvoient sans cesse, et avec raison, la liste du RN au risque de Frexit, si son programme était appliqué. Le dauphin de Marine Le Pen affirme que son «Europe des nations» est possible, sans désintégrer l'actuelle UE. Ses deux dossiers de prédilection sont toutefois la lutte contre l’immigration et la défense du pouvoir d’achat. Il ramène souvent le débat autour des de la question des salaires. Il sait que les jeunes des banlieues et des zones rurales, démotivés par les emplois précaires, réclament avant tout de meilleures rémunérations.
«Génération Bardella»? Le terme est assumé. Avec fierté. Jordan Bardella a réussi, en France, cette prouesse d’être adoubé par le clan Le Pen sans en être issu, même s’il a un moment été en couple avec une fille de Marie-Caroline Le Pen, la sœur aînée de Marine. C’est un cadre du Front national en Seine-Saint-Denis qui l’a repéré en 2012, alors qu’il venait d’avoir seize ans. «Jordan se portait volontaire. Il collait les affiches. Il avait le sens de l’organisation» raconte le groupe de jeunes venus tracter, dans sa ville d’enfance, sur le parvis de la mairie. L’histoire rejoint la légende. Son physique avantageux, télégénique, a largement fait le reste. Il fallait un homme qui brille aux côtés de Marine Le Pen sans lui faire trop d’ombre. Casting parfait.
Les limites de la «Bardella mania»
Cette «Génération Bardella» de la banlieue parisienne est toutefois consciente des limites de la «Bardella Mania». Limites institutionnelles, puisque les élections européennes du 9 juin n’auront a priori pas d’impact direct sur la conduite des affaires du pays. Limites sociales, car le réservoir des voix pour le RN se trouve désormais plus loin de Paris, en grande couronne où dans des départements ruraux ou désindustrialisés en souffrance. Le RN recrute dans les classes populaires, et là où les classes moyennes sont décimées. Dans les grandes métropoles, la colère des populations pauvres, souvent d’origine immigrée, est accaparée par La France Insoumise (LFI) le parti de gauche radicale de Jean-Luc Mélenchon.
Sur le tremplin
Jordan Bardella est sur un tremplin. Il sait qu’un score retentissant aux élections européennes le rendrait incontournable en France. Avec plus d’un million de suiveurs sur la plate-forme TikTok, le candidat est le troisième politique français le plus suivi sur la plateforme, ce qui souligne sa popularité auprès des jeunes électeurs. 32% des 18-24 ans, ont, selon un sondage Opinion Way pour Europe 1, l’intention de voter pour lui. La seconde catégorie la plus encline à voter RN, après les 50-64 ans. Sa «génération» est son meilleur atout.