Jordan Bardella a peut-être déjà renversé la table. A 28 ans, le président du Rassemblement national (RN) n’est plus l’outsider qui devra faire ses preuves face au premier ministre Gabriel Attal, 34 ans, lorsqu’ils débattront ce jeudi soir 23 mai à 20h15 sur le plateau de France 2.
Tête de liste du RN pour les élections européennes du 9 juin, le protégé de Marine Le Pen a, au contraire, plus d’atouts en main pour remporter cette confrontation médiatique inédite et très attendue. Quels atouts? Son parcours populaire, typique de la «méritocratie républicaine». Son sans-faute réussi jusque-là durant la campagne électorale. Et les pièges dans lesquels le chef du gouvernement français, aussi talentueux soit-il, est en train de tomber.
L’arme la plus redoutable de Jordan Bardella face à Gabriel Attal sera celle de son parcours personnel. Cette arme est connue. Les deux hommes connaissent par cœur leurs itinéraires respectifs. Mais celui du leader du RN, dans ces moments de doute et de défiance que les Français ont vis-à-vis de leurs élites, peut s’avérer particulièrement payant.
Jordan Bardella a grandi dans le département populaire de Seine-Saint-Denis, au nord de Paris, là où les Jeux Olympiques de cet été vont établir leur quartier général. Il est issu de l’immigration italienne. Il n’est pas, comme Gabriel Attal, un pur produit des beaux quartiers de Paris. Et même si les élections européennes portent en théorie d’abord sur un programme, et sur l’Europe, cette différence peut faire mouche alors que le rejet d’une Union européenne trop libérale, trop acquise aux intérêts des capitalistes mondialisés, et trop loin des gens, se retrouve comme chaque fois au centre du débat.
«Sans fautes» électoral
La seconde force de Bardella, jusque-là donné plutôt perdant face à un Gabriel Attal qui connaît très bien ses dossiers, est son «sans-faute» électoral. Attention: cette prouesse n’a pas du tout été obtenue grâce à ses propositions chocs et à sa capacité de persuasion. Le jeune dirigeant national-populiste, élu pour la première fois député européen en 2019, n’a pas non plus fait la preuve de sa connaissance fine des dossiers communautaires. Au contraire! Tous ses adversaires, vétérans comme lui de l’hémicycle de Strasbourg, l’ont pilonné sur son absentéisme, et son manque d’intervention en commissions parlementaires, là où se joue le destin de l’UE.
Sauf que Bardella a gagné par défaut. Le 17 mai, le dernier baromètre électoral du Journal du Dimanche le place de nouveau largement en tête, avec 31% des intentions de vote devant la liste du camp présidentiel conduite par Valérie Hayer, avec 16%. Mieux: voilà désormais le poulain «lepéniste» devant Marine Le Pen en termes de popularité! La vieille recette de l’évitement fonctionne à plein. Jordan Bardella ne propose plus de sortir de l’euro. Il rejette l’idée d’un Frexit, que ses adversaires l’accusent de préparer. Il se contente de dire «Non» à presque tout ce que Bruxelles propose de faire. Il détricote. Tandis que Gabriel Attal, lui, doit remonter au front pour défendre les idées avancées par Emmanuel Macron lors de son second discours de la Sorbonne, le 25 avril.
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Troisième atout pour le candidat du RN: le contexte national. On sait que sur la guerre en Ukraine, sa position est vulnérable, car son parti et sa liste comptent de nombreux pro-russes. On sait aussi que malgré sa condamnation énergique du Hamas, l’ombre de l’antisémitisme des débuts du Front national flotte encore, lorsque le RN est interrogé sur la situation à Gaza. C’est d’ailleurs sur l’international, et sur le futur rôle de l’Europe que Gabriel Attal va pilonner son contradicteur.
Mais pour ce qui concerne la France, tout est différent. L’attaque du 14 mai contre un fourgon pénitentiaire, avec deux surveillants exécutés, a remis le dossier de l’insécurité sur le devant de la scène. L’adoption définitive par les 27 pays membres de l’UE du pacte Asile et migrations, ce même 14 mai, est loin d’avoir éteint le débat sur l’expulsion nécessaire des clandestins. S’ajoute à cela le chaos en Nouvelle-Calédonie, défi à la République et à son influence dans le monde. En clair: Gabriel Attal est sur la défensive. Jordan Bardella a l’avantage du terrain.
L’illusion Bardella
Une victoire médiatique de Jordan Bardella ne doit pas faire illusion. Celui-ci, comme l’ont révélé plusieurs enquêtes, a subi d’intenses coachings médiatiques. L’essentiel de ces «punchlines» sont répétées et récitées. Un examen de ses propos a même permis d’établir qu’il a piqué des phrases, copiées collées, à Emmanuel Macron, dont il a repris des formules prononcées durant la campagne électorale de 2017. Gabriel Attal est, par ailleurs, loin de partir battu. La communication est son point fort. Il sait se montrer convaincant.
Il sait plonger dans le détail des dossiers. Mais une joute médiatique n’est pas un pas de danse chorégraphié de bout en bout. Bardella, plus serein et fort de son avance dans les sondages, a moins à perdre. Ses électeurs ne lui demandent pas d’être convaincant sur l’Europe, mais d’exprimer leurs colères et de leur faire des promesses. Or colères et promesses sont deux bons ingrédients pour l'emporter lors d'un débat télévisé…