C’est le débat politique que beaucoup attendent. Du moins tous ceux qui s’intéressent au pouvoir, à la politique, à l’avenir de la France et à celui de la France en Europe. Un débat entre les deux figures incontournables de la jeune génération de politiciens-vedettes en France. Le Premier ministre Gabriel Attal, 34 ans, l’a affirmé lundi 29 avril: d’accord pour un duel télévisé avec celui que tout le monde perçoit comme son rival (et peut-être son remplaçant), Jordan Bardella, 28 ans, président du Rassemblement national et tête de liste de ce parti aux élections européennes du 9 juin.
Un débat avec le chef du gouvernement? Cela ressemble fort, pour Jordan Bardella, à une consécration. Le voilà donc, lui le député européen sortant (un mandat au compteur, de 2019 à 2024), placé au même niveau que l’homme qui dirige depuis le début janvier les manettes de l’État en France, car tel est le rôle du Premier ministre dans la République.
Bravo! Un parcours impeccable pour ce fils d’une famille immigrée italienne, venu des quartiers pauvres de Seine Saint-Denis (nord de Paris), où se tiendront une grande partie des épreuves des Jeux olympiques d’été. Rien à voir, en effet, entre le profil «fils de bourgeois des beaux quartiers parisiens» de Gabriel Attal, dont le père était avocat et producteur de cinéma, avec l’ascension sociale incontestable du leader du RN, cette formation devenue le premier parti politique français sous la direction de Marine Le Pen.
Contre Macron «l’Européiste»
Mieux: Jordan Bardella est, par sa position de chef de file pour les Européennes, pile au bon endroit pour défier Emmanuel Macron, ce président si «européiste» qui vient encore de prononcer un discours de deux heures, le 25 avril, sur la nécessité d’une Europe puissante, intégrée et bien plus fédérale, aux antipodes de «l’Europe des nations» défendue par le Rassemblement national.
Et encore mieux: donné largement vainqueur avec environ 30% des suffrages, Jordan Bardella peut rêver d’être celui qui, par son score, va infliger une lourde défaite politique au camp présidentiel alors que Marine Le Pen a, en 2017 puis en 2022, été sèchement battue par l’actuel locataire de l’Élysée.
Sauf qu’occuper une position de leader exige (un peu) de le mériter. Surtout en campagne électorale. Or, on peut penser ce que l’on veut d’Emmanuel Macron, mais il ne viendrait à l’idée de personne d’affirmer que ce président n’a ni idées, ni ambitions pour la France et pour l’Europe. Impossible, par exemple, de ne pas voir dans son second discours de la Sorbonne, prononcé durant deux longues heures le 25 avril, une feuille de route pour l’avenir de l’Union européenne et du continent, Suisse incluse.
La méthode (discours fleuve, alarmisme surjoué, injonctions à répétition) peut énerver, voire ulcérer. Restent les propositions: nombreuses, parfois audacieuses et en tout cas utiles pour avancer dans le débat européen chahuté par la guerre en Ukraine, l’émergence du «sud global» et la montée, dans les 27 pays-membres, d’une vague nationale-populiste qui se concrétisera sans doute dans les urnes le 9 juin.
Quand les choses se gâtent
C’est là que les choses se gâtent pour celui qui, dans ce camp-là, est supposé incarner l’alternative. Jordan Bardella, 28 ans, donne parfois l’impression d’être au camp nationaliste ce que Ken est à Barbie: un prototype du garçon parfait, tombé dans la politique et dans le clan Le Pen (il vit avec une nièce de Marine Le Pen) quand il était petit.
Problème: dès que le niveau monte en termes d’exigence intellectuelle et de nécessité d’émettre des idées, notre Ken du RN se met furieusement à ramer. On l’a vu sitôt terminé le discours de Macron, lorsque, après vingt minutes, Bardella s’est éclipsé.
Avons-nous là, en pole position électorale, une personnalité capable, demain, de diriger le gouvernement français comme l’a proposé Marine le Pen, si elle accédait à l’Élysée? Sommes-nous face à un phénomène politique capable de bouleverser la donne nationale et européenne, comme on le voit avec la Première ministre italienne Giorgia Meloni, qui sera la tête de liste de son propre parti au scrutin européen du 9 juin?
Mini Macron contre Mini Le Pen
Attal-Bardella. Mini Macron contre Mini Le Pen? Pas vraiment. Marine Le Pen, 55 ans, a su désormais tracer sa voie. Son programme très étatiste sur le plan économique, sa défense du pouvoir d’achat, sa volonté de déconstruire l’Union européenne sans en sortir et sans abandonner l’euro, sont aujourd’hui une marque de fabrique portée par un style populaire, proche des gens, et appuyé sur deux campagnes présidentielles qui l’ont vu nettement progresser (de 34% des voix au second tour en 2017 à 41,4% en 2022).
Jordan Bardella, lui, répète les mantras sur une Europe qui doit consolider ses frontières, repousser les migrants, donner la priorité aux gouvernements nationaux et diminuer les prérogatives de la Commission européenne. Mais il peine à répondre sur les divisions de l’extrême droite en Europe, sur la sympathie avérée de son parti avec la Russie avant la guerre en Ukraine, et sur le risque économique majeur qu’un Parlement européen, dominé les nationaux-populistes, ferait courir.
Politicien surdoué du monde réel ou clone de Ken, le copain de Barbie qui évolue dans un monde artificiel? Le test de vérité approche pour le prodige Bardella.