Il a déjà perdu sa première bataille. C’est en tout cas ce que disent les sondages. Lorsqu’il a été nommé le 8 janvier 2024 comme Premier ministre par Emmanuel Macron, le très jeune Gabriel Attal, 34 ans, avait un ordre de mission prioritaire: contrer l’ascension de son opposant en chef, Jordan Bardella, 28 ans, tête de liste du Rassemblement national pour les élections européennes.
Bardella-Attal: le match devait dominer le début d’année. Aujourd’hui, il apparaît plié, du moins pour le prochain scrutin: 32% d’intentions de vote pour la liste RN contre 16% pour celle de la majorité présidentielle, conduite par l’eurodéputée Valérie Hayer. L’offensive Attal semble pour le moment condamnée à l’échec au moment du vote, le 9 juin.
Les enquêtes d’opinion, bien sûr, peuvent toujours être démenties par les faits. Mais derrière ce fossé électoral se cache une autre réalité: celle de la capacité de Gabriel Attal à exister politiquement en dehors de son mentor et patron, Emmanuel Macron, après cent jours passés à l’Hôtel Matignon. Cent jours comme Premier ministre. Cent jours durant lesquels Gabriel Attal est resté sur le devant de la scène, y compris à l’Assemblée nationale où les questions au gouvernement ont été modifiées pour lui permettre de répondre directement aux députés. Cent jours ponctués d’un seul voyage à l’étranger, au Canada et au Québec, du 10 au 12 avril. Alors, quel bilan pour celui que beaucoup considèrent avant tout, à tort ou à raison, comme un «bébé Macron»?
La réalité est que Gabriel Attal a surtout réussi en matière de communication. Là, son parcours est sans fautes. Jeudi 18 avril en soirée, pendant deux heures sur BFM TV, le jeune Premier ministre s’est à nouveau montré pugnace sur la question qu’il avait mise en avant lors de son passage bref au ministère de l’Éducation (juillet 2023-janvier 2024): l’autorité.
Le défi de l’autorité
Il a ainsi annoncé à la télévision la création prochaine en France d’un «contrat de droits et d’obligations» que les parents auront à signer avec les établissements scolaires où se trouvent leurs enfants. Ces contrats, qui seront prêts en septembre, ouvriront à des sanctions en cas de non-respect. Autre exemple: l’annonce d’une prochaine proposition de loi pour que soit retenue comme circonstance aggravante une agression pour non-respect «de principes religieux». Cette question est revenue sur le devant de la scène après l’agression mortelle à Bordeaux, le 10 avril, d’un garçon d’origine algérienne tué par un demandeur d’asile Afghan parce qu’il buvait de l’alcool à l’heure de la rupture du jeûne islamique.
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Et au-delà de la com'? Pour le moment, pas grande chose. Mais il est vrai que les trois sujets clés du moment ne sont pas ses points forts, et pas ce qu’on attend en priorité d’un Premier ministre.
Le premier est la politique étrangère, avec la crise ukrainienne et le conflit Iran-Hamas-Israël. Là, Emmanuel Macron est seul à la manœuvre avec, pour l’intendance diplomatique, l’inexpérimenté ministre des Affaires étrangères Stéphane Séjourné. Lequel n’est autre que l’ancien compagnon de Gabriel Attal, premier chef du gouvernement français a à avoir publiquement admis son homosexualité.
Économie de guerre
Le second dossier, lui aussi chapeauté par l’Élysée, est la défense et le passage du pays à l’économie de guerre, afin de produire les armements et les munitions promis à l’Ukraine et indispensables au défi sécuritaire posé par la Russie. Gabriel Attal est, en la matière, condamné à observer. C’est le président de la République qui, en France, est le Chef des armées.
Troisième dossier: les Jeux Olympiques qui s’ouvriront dans 100 jours, le 26 juillet 2024. Là aussi, Macron est à la manœuvre. Le Chef de l’État inaugure tout. Il sait que la réussite de la compétition sera l’un des acquis, ou l’une des grandes défaites, de son second mandat.
Reste deux sujets sur lesquels Gabriel Attal peut encore faire la différence, et démontrer qu’il n’est pas seulement un «bébé Macron», installé là pour servir les intérêts du président qui ne pourra pas se représenter en 2027. Le premier, qui va résonner fin avril avec l’entrée en lice des agences de notation financière, est l’économie. La France dépense trop, beaucoup trop. Il lui faut couper d’urgence 20 milliards d’euros de crédits promis. Le Premier ministre a donc commencé par prendre le taureau par les cornes en proposant la réforme de l’assurance chômage. Problème: tout le monde ou presque lui est tombé dessus. Le voici accusé de faire payer aux seuls chômeurs l’incapacité de son gouvernement à maîtriser le budget. Jusque-là, c’est un échec.
Le quotidien des Français
Second sujet: le quotidien des Français. Celui des paysans qui ont montré leur colère au début de son mandat, Celui des parents d'élèves inquiets de la prolifération des violences à l’école. Là, Attal est sur le terrain. Où il ressemble plus à un «bébé Sarkozy» qu’à un bébé Macron. Il sait écouter. Avoir les bonnes punchlines. Tancer les administrations sans couper le cordon. Son image de gendre idéal lui facilite la tâche. Il ne cabre pas ses interlocuteurs. Il n’est pas perçu comme arrogant.
Alors, Attal est-il en 100 jours devenu lui-même? Non, pas encore. Il pourrait d’ailleurs vite devoir refermer la parenthèse de Matignon si l’opposition de droite présente une motion de censure à l’Assemblée et parvient à la faire voter. Gabriel Attal a en revanche évité tout conflit avec son patron, l’omniprésent président. Le «bébé» a vite appris à marcher. Il doit maintenant apprendre à se protéger, car, en cas d’échec, il sera un parfait bouc émissaire pour celui qui l’a fait vice-roi: Emmanuel Macron.