Rien à dire: Gabriel Attal, 34 ans, est déjà un grand pro de la communication politique. Vous ne le savez pas? Regardez les chaînes d’information en continu françaises et vous verrez: vendredi en Haute-Garonne et ce dimanche 28 janvier en Indre-et-Loire, ses visites aux paysans ont été diffusées en intégralité, souvent sans coupures ni commentaires.
Normal, vu l’imminence d’un possible blocage de Paris par les paysans, à partir de ce lundi? Révélateur, surtout, d’une super campagne de comm orchestrée dans l’urgence pour parer au risque d’une nouvelle explosion sociale. Objectif: démontrer aux Français que le jeune chef du gouvernement est à l’écoute.
Celui que la presse populaire allemande a surnommé «Mini Macron» joue parfaitement son rôle à deux jours de sa déclaration de politique générale devant l’Assemblée nationale le 30 janvier. Revoilà, à la sauce agricole, le grand débat national que le président avait monté pour contrer la révolte des «gilets jaunes» durant l’hiver 2018-2019.
J’ai expérimenté en direct cette campagne de communication qui, vue par les sceptiques ou par les détracteurs de l’actuel gouvernement français, peut presque s’assimiler à une opération de propagande. Invité par une chaine de télévision française dimanche matin, me voici, comme un collègue allemand, cantonné sur mon siège, en plateau, sans être sollicité pour le moindre commentaire, convié à regarder en direct la conversation entre le Premier ministre et les maraîchers d’Indre-et-Loire. Aucun problème ! Le direct est roi. L’émission prévue, qui regarde l’actualité du point de vue étranger, a été déprogrammée en urgence. Aucun souci!
Attal à la campagne
Mais pour quel résultat? Que du direct sans interruption, montrant Gabriel Attal en train de répéter ce qu’il a dit deux jours avant en Haute-Garonne. Des images qui, bien sûr, montrent aussi que les paysans l’écoutent. Au total, la séquence «Attal à la campagne» durera plus de deux heures avec, pour l’essentiel, des commentaires axés sur la capacité au dialogue du nouveau Premier ministre. Une seule réaction brise un peu ce consensus: elle vient d’un correspondant de la chaîne sur un barrage routier dans le sud de la France. Il souligne que personne, parmi les paysans mobilisés sur ce blocus, n’a regardé la prestation du chef du gouvernement.
A chacun son spectacle
A chacun son spectacle politique et médiatique. A chacun ses solutions face à la colère des paysans, à l’œuvre dans plusieurs pays européens. Gabriel Attal a le courage d’aller sur le terrain, comme il l’a promis. Il est pédagogue. Il explique. Il promet, via les préfets dans chaque département, d’engager enfin une simplification des procédures agricoles. Il ne doit pas beaucoup dormir. Il remplace, de facto, son ministre de l’Agriculture. Il fait du Macron, en moins arrogant, plus à l’écoute.
Mais comment ne pas voir l’opération de communication XXL, à un mois du salon de l’agriculture qui ouvre le 24 février à Paris? Il faut convaincre les Français que le gouvernement agit. Il faut renverser la table face aux agriculteurs en colère. Pour l’heure, ce sont eux qui ont l’avantage. Ils sont mobilisés. Ils ont leurs tracteurs devant les préfectures. Ils souffrent comme beaucoup de leurs compatriotes. Ils sont de moins en moins payés. Leurs produits sont concurrencés à l’intérieur même de l’Union européenne. Alors que faire? Parler, parler, parler. Apparaître comme un chef du gouvernement volontariste. La propagande démocratique existe: elle est à l’œuvre en France.
Les ressorts de la comm
Cette communication massive de Gabriel Attal a trois ressorts. Ils sont transparents. On les voit. Le premier est le courage physique. «Mini Macron», comme son patron, paie de sa personne. Il y va. Il n’a pas encore chaussé les bottes, mais ça pourrait venir. Il parle pour apprendre. Il répète qu’il vient d’arriver à son poste.
Objectif 1: s’attirer l’indulgence de ses interlocuteurs. Deuxième ressort: faire oublier qu’Emmanuel Macron est président depuis sept ans, et que Gabriel Attal est lui-même aux côtés du Chef de l’État depuis le début. Le discours est celui d’une nouvelle ère. On va simplifier, département par département. «Le préfet du Lot et Garonne vient d’annuler quatre décrets» se félicite le Premier ministre. Objectif 2: Accréditer le renouveau, tourner la page.
Troisième ressort: flouter le discours sur l’Europe. Emmanuel Macron est un souverainiste européen assumé. Gabriel Attal parle, lui, de constituer, sur les questions agricoles, une coalition de pays autour de la France. Il n’évoque presque pas l’ouverture d’un dialogue stratégique sur l’agriculture par la Commission européenne, vendredi 26 juillet. Objectif 3: prendre le plus de distance possible avec Bruxelles, à quatre mois des élections européennes du 9 juin prochain.
Attal est «en marche»
Gabriel Attal est «en marche». Ce n’est pas seulement un jeu de mots avec le nom d’origine de son parti présidentiel. Il veut empêcher les oppositions de mener le débat en tête sur l’agriculture. Il veut occuper les écrans, les radios, les « unes » de la presse. Il veut être le jeune chef du gouvernement sympa qui dialogue. Il sait qu’il n’a aucune marge de manœuvre financière, car il lui faut économiser environ douze milliards d’euros de dépenses publiques en 2024.
Tout n’est que comm. Super comm. Les Français, on le sait, adorent le débat. Ils veulent s’exprimer, être considérés. Ce sera la mission de Gabriel Attal. Le président Macron s’est résolu à changer la France en la brusquant, quitte à faire mal. Son Premier ministre pratique l’anesthésie par l’omniprésence médiatique. Reste à voir si, après, l’indispensable chirurgie bureaucratique aura bien lieu et produira ses effets.