Vous connaissiez la thèse du «grand remplacement» des Français par des immigrés venus de l’autre rive de la Méditerranée? Voici venu, pour le Rassemblement national, le temps du «grand effacement». C’est avec cette formule choc que Marine Le Pen et Jordan Bardella ont lancé à Marseille, ce dimanche 15 janvier, la campagne du parti national-populiste français pour les élections européennes du 9 juin. En désignant sans cesse, dans leurs discours, le responsable de cet «effacement» de la France: l’actuel président Emmanuel Macron.
Que veut dire ce «grand effacement» ? Pour le Rassemblement national, premier parti de France donné net vainqueur du scrutin de juin par la plupart des sondages, ce slogan cache en réalité des accusations anciennes. Rien de neuf. Macron, au pouvoir depuis 2017, est accusé d’être le chef de file des «mondialistes» et des «européistes» qui veulent défaire l’identité nationale. Marine Le Pen, comme Jordan Bardella, reproche au président de la République d’avoir laissé la France se faire submerger par les demandeurs d’asile, et de ne pas être capable d’assurer l’ordre et la sécurité. Surfant sur l’actualité de la colère paysanne, ils l’accusent aussi de causer la ruine des agriculteurs.
Soutien aux paysans
«Qu’il me soit permis de dire ici, en votre nom à tous, le soutien de tous les Français à nos agriculteurs: chers agriculteurs, la France vous aime! La France vous regarde, la France vous soutient!» a entonné le jeune président du RN, âgé de 28 ans. Il faut dire que le moment est propice. Au salon de l’agriculture qui a fermé ses portes ce dimanche, au moment même du meeting de Marseille, Emmanuel Macron s’était fait huer lors de sa visite le 24 février, au point que les forces de l’ordre ont dû intervenir. Alors que Bardella, comme Le Pen, tous deux purs citadins et purs parisiens, ont multiplié les selfies et ont pu se promener sans problème dans l’enceinte de cette manifestation à la gloire du monde rural.
«Grand effacement»: la formule est surtout taillée sur mesure pour accompagner le slogan de campagne du parti d’extrême-droite aux Européennes: «La France revient, l’Europe revit». Elle est aussi la réponse aux attaques de la majorité présidentielle qui reproche au RN d’être un parti téléguidé par la Russie. «Les troupes de Poutine sont ici, c’est vous» a lancé la semaine dernière à l’Assemblée nationale le jeune premier ministre Gabriel Attal, 34 ans, en direction du groupe de députés RN. Voici donc la parade de l’es FN, qui rêve d’une victoire électorale des partis nationaux-populiste en Allemagne (AFD), aux Pays-Bas (PVV), en Espagne (Vox), en Italie (Fratelli d’Italia), en Hongrie (Fidesz) ou en Slovaquie (SMER).
Une cible nommée Macron
Ceux qui prédisaient un duel frontal entre Macron et le RN le 9 juin se voient confortés dans leurs prédictions. Jordan Bardella, comme Marine Le Pen, n’ont presque jamais ciblé la gauche, les Verts ou la droite traditionnelle (dont ils siphonnent de plus en plus les électeurs). La cible est à l’Élysée: «Sept ans de macronisme ont affaibli la France. Sept longues années, marquées d’hyper-communication, d’insincérité, de volte-face, d’'en même temps' et d’incohérence qui auront fait perdre à la France un temps précieux. Sept ans où Emmanuel Macron été capable de dire tout et son contraire d’un jour à l’autre, avec, à chaque fois, la triste passion de celui qui croit avoir berné son interlocuteur. Sept ans où ils ont attaqué avec outrance toutes les mesures que nous portions, avant de venir en légitimer certaines toujours au pied du mur. Et dans cette tragédie, les observateurs médiatiques applaudissent!» a asséné la tête de liste du RN.
Bardella face au fantôme de Navalny
Et maintenant? Le plus probable est que le tandem Macron-Attal, chantre d'une Europe puissante et d'une défense commune de l'UE face à la Russie, va riposter sur le terrain le plus fertile pour décrédibiliser le RN: le soutien à l’Ukraine, et la proximité entre ce parti et Vladimir Poutine. Les élus du parti présidentiel «Renaissance» ont ainsi accusé Jordan Bardella de ne pas avoir applaudi la veuve de l’opposant russe Alexeï Navalny au parlement de Strasbourg, le 28 février. Ce qui n’est pas tout à fait vrai car il a bien salué l’intervention de Ioulia Navalnaïa.
Et la «grande trahison» ?
«Le grand effacement» contre la «grande trahison»: la diabolisation de l’adversaire est, pour le Rassemblement national comme pour le camp Macron, l’arme ultime face à des électeurs qui, traditionnellement, boudent les urnes pour ce scrutin. En 2019, seul un électeur français sur deux s’était déplacé. La participation avait été de 50,12%. A l’issue d’une campagne marquée par le retour en force de la majorité présidentielle distancée, d’un petit point (23.34% et 22 eurodéputés contre 22,42% et 21 eurodéputés).