Pascal Praud anime près de 4000 heures de direct par an. Un Everest télévisuel vu de Suisse, où la RTS et les chaînes privées cantonales ignorent la concurrence effrénée que se livrent les chaînes d’information continue à la française. 4000 heures de direct annuel pour un seul présentateur!
Telle aura presque été l’information centrale des deux heures et demie d’audition assez décevante des stars de la chaîne CNews par les députés français. Un marathon qui, selon l’animateur de «L’heure des pros», l’un des talk-shows les plus populaires et les plus clivants de France, peut excuser «quelques erreurs». Ce qu’il a d’ailleurs assumé devant l’Assemblée nationale.
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Pour le reste? Les présentatrices Sonia Mabrouk et Laurence Ferrari, autres vedettes de la chaîne possédée par le milliardaire Vincent Bolloré ont fait la même réponse. Leurs plateaux d’invités ne sont pas, ont-elles affirmé, élaborés pour donner de l’actualité une vision réactionnaire et d’ultra-droite, comme l’affirment leurs détracteurs.
Il y a des faits et de la diversité dans les commentaires, ont répété les auditionnés pour leur défense. Après avoir commencé par un mea-culpa public à propos d’une émission récente durant laquelle l’interruption volontaire de grossesse (IVG) a été présentée comme la première cause de mortalité dans le monde. «Inacceptable». «Insoutenable». Tous les mots ont été employés pour présenter des excuses à la suite de cette erreur engendrée par la diffusion d’une version initiale de l’émission, alors que celle-ci avait été, selon la direction de CNews, expurgée de cette affirmation mensongère.
Pas de réponse claire
CNews est-elle une chaîne démocratique et pluraliste, digne de sa fréquence N°16 sur la TNT (télévision numérique terrestre)? Ou est-ce un canal dangereux, qui mine le pays? A l’issue de l’audition par la dizaine de parlementaires français qui vont poursuivre leurs auditions en vue de l’attribution des futures fréquences pour 2025, la question n’a toujours pas reçu de réponse claire.
«Chaîne de toutes les opinions». «Chaîne dont l’objectif est de créer du débat, et de la contradiction». «Chaîne de décryptage». Tous les termes synonymes de pluralisme ont été utilisés par les intervenants, sans que jamais ou presque la question du tri dans l’information ne leur soit posée par des élus assez peu offensifs.
Quiconque regarde CNews pendant plusieurs heures peut pourtant constater, sans rien déformer, que la sécurité, l’immigration, l’ordre public, la défense du gouvernement israélien dans son opération militaire à Gaza, sont des thèmes dominants et récurrents de cette chaîne que beaucoup comparent à l’américaine Fox News. Mais devant les députés, c’est une autre version qu’ont défendue ses stars, dont Pascal Praud.
Journaliste sportif devenu présentateur populaire
Avec habileté et après avoir rappelé son parcours de journaliste sportif devenu présentateur de l’une des émissions de débat les plus regardées de France (environ 500'000 téléspectateurs), celui-ci a affirmé s’en tenir d’abord à l’actualité dans le choix des sujets évoqués lors de ses émissions. Il a aussi, avec pertinence, justifié le fait que l’information factuelle n’est plus ce qu’attendent les téléspectateurs, dans une société où le téléphone portable vous informe dès le matin sur tout.
Sur quels critères, dès lors, faut-il juger une chaîne d’information continue? Il faut savoir qu’en France, la loi de 1986 toujours en vigueur exige des médias audiovisuels français avec une fréquence publique gratuite de respecter «le pluralisme des courants de pensée et d’opinion au nom du droit à l’information». Le pluralisme n’est pas le résultat de la diversité des acteurs audiovisuels. Il doit être reflété par chaque chaîne dans ses programmes.
C’est cette obligation que la plus haute juridiction administrative française – le Conseil d’État–, a vertement rappelé à CNews le 13 février, en demandant à l’ARCOM (le régulateur public et indépendant) de réexaminer dans un délai de six mois le respect de son mandat par CNews. Et c’est aussi elle qui justifie, selon l’association «Reporters sans frontières» à l’origine de la saisine du Conseil d’État, de mettre CNews sous surveillance.
Consensus final peu probable
Qu’en penser, après avoir vu l’audition des stars de la chaîne par des parlementaires pour la plupart en désaccord avec son contenu? Peut-on croire que cette commission d’enquête demandée par La France Insoumise (gauche radicale) va aboutir à un consensus, à l’heure où le Rassemblement national (dont CNews est accusé de faire le lit) caracole en tête des sondages? C’est peu probable. Voire impossible.
Retrouvez l’audition parlementaire
«Nous sommes ciblés»
«On sait bien que nous sommes ciblés», a plusieurs fois regretté, petit sourire en coin, Laurence Ferrari, l’éditorialiste politique de la chaîne. Match nul donc, après cette audition dont le moment le plus saillant aura été la mise en cause, par le député insoumis Aymeric Caron, du non-traitement par la chaîne des «crimes de guerre» commis selon lui dans la bande de Gaza par l’armée israélienne.
La popularité de CNews, qui dispute la place de N°1 des chaînes d’info à BFM TV, explique peut-être l’absence de confrontation. L’audition prochaine, le 14 mars, de l’animateur très controversé Cyril Hanouna, tête de gondole de la chaine sœur C8 plusieurs fois sanctionné pour ses excès, offrira-t-elle une meilleure passe d’armes?
Personne, par exemple, n’a osé comparer le milliardaire breton Vincent Bolloré au magnat britannique Rupert Murdoch, propriétaire de Fox News, dont l’antenne s’était mise en 2016 au service de Donald Trump, élu face à Hillary Clinton.
L’ombre de la Russie
Personne n’a osé comparer Pascal Praud au polémiste réactionnaire et pro-russe Tucker Carlson (ex-Fox News), qui a interviewé Vladimir Poutine le 9 février à Moscou. L’accusation d’un député de la majorité présidentielle sur la «mansuétude» dont la chaîne témoignerait vis-à-vis de la Russie de Vladimir Poutine a même été éludée, car trop peu fondée.
S’ils espéraient voir clouer CNews au pilori, ses détracteurs auront été déçus. Trop peu d’accusations ont fait mouche. «Je crois que beaucoup jugent mon émission sans la regarder» a asséné Pascal Praud. Facile. Très discutable au vu des sujets privilégiés en permanence sur son plateau. Mais pas si faux à en écouter les parlementaires de cette Commission d’enquête.