Le Salon de l’Agriculture, à Paris, est-il devenu un terrible repère de climato-sceptiques? La réponse est non. Tous les paysans rencontrés dans les allées de cette manifestation annuelle qui se déroule cette semaine, au parc des expositions de la porte de Versailles, affirment qu’ils sont les premiers à défendre l’environnement.
Pas question donc, pour ces agriculteurs en colère devant la baisse inexorable de leur niveau de vie, partout en Europe, d’accepter d’être montrés du doigt par les Verts. Le bon combat, à entendre ces paysans, n’est pas de mettre en place des règles pour préserver les prairies du continent d’une exploitation abusive et saturée en produits chimiques. Il s’agit d’abord de sauver ceux qui produisent notre nourriture, et de s’assurer que les prix des denrées permettent de vivre et de transmettre les fermes aux nouvelles générations.
Une procédure plus souple
Le problème est que cette présentation des choses est trompeuse. La mise en cause du pacte vert européen (le fameux Green deal) adopté définitivement en mars 2023 cache en réalité une victoire du lobby agroalimentaire, que les écologistes de tous bords dénoncent comme dangereuse pour l’environnement, et pour le climat.
Ne devrait-on pas dissocier la question des tarifs agricoles de celle de l’exploitation des terres? Faut-il dénoncer, comme le font aujourd’hui de nombreux paysans européens en colère, les «bonnes conditions agricoles et environnementales» qui exigent de maintenir des prairies permanentes pour faire respirer la terre?
La Commission européenne doit revenir, d’ici au 15 mars, avec une procédure plus souple destinée à modifier ces règles. Danger, disent les élus verts du Parlement européen qui soulignent au contraire l’impératif de préservation de notre écosystème.
Le basculement anti-écolo
Au Salon de l’Agriculture, le basculement semble pourtant avoir eu lieu. L’heure n’est plus à la défense, par le gouvernement français, des objectifs pourtant votés au Parlement de Strasbourg sur la restauration de la nature, destinée à réhabiliter les écosystèmes dégradés dans tous les pays de l’UE, de contribuer à la réalisation des objectifs de l’UE en matière de climat et de biodiversité et d’améliorer la sécurité alimentaire.
Pour atteindre ces objectifs, les 27 États membres doivent restaurer au moins 30% des habitats concernés par la nouvelle législation (forêts, prairies, zones humides, rivières, lacs et fonds coralliens) pour remettre en bon état d’ici 2030 ceux qui sont en mauvais état, puis 60% d’ici 2040 et 90% d’ici 2050.
Les pays de l’UE doivent en théorie donner la priorité aux zones Natura 2000 jusqu’en 2030. Or Emmanuel Macron lui-même, lors de sa déambulation chaotique dans l’enceinte du salon, samedi 24 février, a réclamé des assouplissements, tout en plaidant pour le retour des prix planchers agricoles.
Les prairies à préserver au niveau mondial
La question des prairies, simple à comprendre, car elle nous concerne tous, au-delà du monde paysan, est en fait en train de devenir mondiale. Sous la pression des paysans européens, les gouvernements des pays de l’UE envisagent d’exiger un respect similaire de la protection de l’environnement dans les pays avec lesquels ils signent des accords de libre-échange.
Le commissaire européen à l’agriculture, le polonais Janusz Wojciechowski, lui-même confronté à la colère des exploitants de son pays, est aujourd’hui prié de revoir la copie communautaire. Les prairies, ou jachères selon le terme employé, ne sont plus un objectif en soit. Elles deviennent une variable d’ajustement.
Débat empoisonné
En France, le débat est encore plus empoisonné parce que la FNSEA, le premier syndicat agricole, représente les intérêts d’une agriculture productiviste, dominée de longue date par les grands céréaliers. Or ceux-là craignent que la mise en jachère des prairies handicapent les agriculteurs de l’hexagone et des autres pays de l’UE face à la concurrence des pays dotés de vastes plaines fertiles. Personne ne peut agir sur ceux-ci en termes de réglementation, à commencer par l’Ukraine et la Russie.
A quoi bon, en somme, défendre les prairies européennes si, au-delà des limites de l’UE, les engrais sont répandus dans des quantités astronomiques et si les sols sont épuisés à force de produire? Résultat: une liste de revendications, telles que les moindres contrôles des surfaces agricoles, l’allégement des contraintes environnementales pour les exploitations de moins de dix hectares, la prise en compte meilleure des cas de force majeures. Autant de mesures destinées à faire qu’un seul roi règne sur les prairies: le tracteur, toujours plus puissant, et toujours plus vorace en énergie.