Vladimir Poutine est-il l’homme-orchestre des droites nationales-populistes au sein de l’Union européenne? Cette accusation est en tout cas celle qu’Emmanuel Macron et la majorité présidentielle française comptent marteler durant la campagne pour les élections européennes du 9 juin. Avec, dans le collimateur du locataire de l’Élysée et de son jeune premier ministre Gabriel Attal, 34 ans, une cible privilégiée: Jordan Bardella.
Le très jeune président du Rassemblement National est, à 28 ans, celui qui porte les espoirs de sa formation aux côtés de Marine Le Pen. Il est la tête de liste de son parti pour le scrutin de juin. Le désigner comme un allié, voire un cheval de Troie pour le président Russe en cette période de difficultés sur le front Ukrainien peut donc faire mal.
Qu’en penser? Et que répond surtout Jordan Bardella, fils d’immigrés italiens, et enfant de la banlieue nord défavorisée de Paris? Nous le saurons après le premier meeting de sa campagne ce dimanche 3 mars au Parc Chanot, à Marseille. Pour le moment, l’intéressé a louvoyé. S’il a dénoncé à plusieurs reprises le gouvernement de Vladimir Poutine comme étant à la tête d’un «régime de toute évidence autoritaire», l’eurodéputé sortant – il a été élu pour la première fois en 2019 à 23 ans au parlement de Strasbourg – n’a pas condamné ce dernier pour la mort de l’opposant russe Alexeï Navalny. Selon lui, le pouvoir du Kremlin porte juste «une très grande responsabilité» dans la disparition de Navalny, le 16 février 2024, dans une colonie pénitentiaire de l’Arctique.
Refus d’insulter Poutine
Poutine dictateur? «C’est irresponsable de le qualifier ainsi. Je ne me livrerai pas à un jeu d’insultes et d’injures», déclarait Jordan Bardella en 2022 à BFM TV. Poutine destructeur de l’Union européenne? «Il y a surtout eu une naïveté collective à l’égard des ambitions du président Russe», expliquait-il, timidement, en février 2023 au quotidien «L’Opinion» sans condamner les ingérences russes avérées dans le débat politique de plusieurs pays de l’UE.
Poutine, financier du Rassemblement National? Jordan Bardella estime avoir fait le boulot en œuvrant pour rembourser de façon anticipée en 2023 le prêt consenti au Rassemblement National par une banque tchéco-russe en 2014. En clair: le jeune eurodéputé fait tout pour ne pas prêter le flanc à l’accusation de faire partie des «troupes de Poutine», formulée le 24 février à l’Assemblée nationale par son adversaire numéro un, le premier ministre Gabriel Attal, âgé de 34 ans.
Stratégie du flou
Au final? Un entre-deux. Une stratégie du flou pour celui que les Français, selon les divers baromètres des instituts de sondage, classent désormais parmi leurs 50 personnalités préférées, premier parmi les politiques. Une stratégie, surtout, dictée par trois impératifs entre lesquels Jordan Bardella n’a pas encore tranché.
Premier impératif: ne pas donner prise aux accusations de collusion avec Moscou en temps de guerre, ce qui n’est pas simple lorsque figure, parmi les eurodéputés sortants du Rassemblement National, un certain Thierry Mariani, défenseur bien connu de la Russie et de Poutine depuis des années.
Deuxième impératif: avoir un point de vue personnel par rapport à Marine Le Pen, la patronne incontestée du RN, ce qui n’est pas facile car il lui doit tout, et que celle-ci l’a déjà proposé comme Premier ministre si elle devait remporter l’élection présidentielle de 2027.
Troisième impératif: peser au sein du futur Parlement européen, ce qui dépendra du résultat des élections à venir. Si les partis nationaux-populistes progressent fortement partout, et qu’ils parviennent à se coaliser, Bardella aura du poids. Si leurs résultats électoraux sont décevants, et qu’ils se divisent en plusieurs groupes d’élus, comme c’est le cas jusque-là, le président du RN redeviendra, peu ou prou, un eurodéputé comme les autres. Sans influence particulière.
À Marseille, pour son premier meeting aux côtés de Marine Le Pen, et alors que la liste du RN aux Européennes n’est pas finalisée, Jordan Bardella va bien sûr pilonner le registre qui plaît le plus aux électeurs: celui de la préférence nationale dans tous les domaines. «La France revient, l’Europe revit» est le slogan de son parti, auquel vient de se rallier une personnalité de premier plan: l’ancien patron de Frontex Fabrice Leggeri. Ce commissaire de Police avait en charge, jusqu’au début 2023, la protection des frontières extérieures de l’Union et de l’Espace Schengen (dont fait partie la Suisse). Dans la métropole méditerranéenne, l’accent sera donc sans doute mis sur la lutte contre l’immigration.
Vers Meloni?
Reste une question: Jordan Bardella, d’ascendance italienne, fera-t-il le pas franchi de longue date par Giorgia Meloni, la première ministre italienne issue de l’extrême droite. Meloni a toujours affiché son atlantisme et son alignement sur les États-Unis en faveur de l’Ukraine. Elle était à Kiev le 24 février, jour anniversaire de l’agression russe d’il y a deux ans. Elle cherche à se rapprocher de la droite traditionnelle au Parlement européen. Pour l’heure, aucun signe de Bardella dans cette direction. Mais à 28 ans, l’enfant prodige des nationaux-populistes européens a encore le temps de choisir son camp. Pour l’heure, sa stratégie est de se tenir à distance de Poutine sans le condamner trop vertement, et de critiquer la Russie sans rompre avec elle. Bref, de faire du «en même temps» comme un certain Emmanuel Macron le fait dans beaucoup de domaines.